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de le verser dans la bouteille, elle y trempait le bout des lèvres. N’ayant pas l’habitude du vin, elle n’aurait pu en boire davantage : c’était trop fort pour son gosier. Elle faisait cela, non par goût, mais par espièglerie, pour jouer un bon tour à ses parens qui avaient confiance en elle, et puis enfin parce que c’était défendu. Chaque fois, elle buvait une gorgée de plus, tant et si bien qu’elle finit par trouver cela bon et qu’elle en vint à boire des tasses entières. Un jour, la servante, qui l’accompagnait à la cave, se disputa avec elle. Monique riposta vivement. Sur quoi, la fille traita Monique d’ivrognesse !... Ivrognesse ! ce mot injurieux humilia si profondément l’amour-propre de la future sainte, qu’elle se corrigea de sa passion naissante. Augustin ne nous dit point que ce fut par piété, mais parce qu’elle sentit la laideur d’un tel vice.

Il y a une certaine rudesse dans cette histoire enfantine, la rudesse des mœurs antiques, à laquelle se mélo toujours de la décence ou de la dignité. Le Christianisme achèvera de polir l’âme de Monique. A l’époque où nous sommes, si elle est déjà une adolescente très pieuse, elle est encore loin d’être la grande chrétienne qu’elle deviendra plus tard.

Lorsqu’elle épousa Patritius, c’était une fille réservée et froide en apparence (au fond, elle était une passionnée), exacte à remplir ses devoirs religieux, même un peu rigoriste, exagérant l’austérité chrétienne, en haine de toutes les brutalités et de tout le relâchement que le paganisme autorisait. Néanmoins, cette âme rigide savait se plier aux nécessités. Monique avait du tact, de la souplesse, et, à l’occasion, un sens pratique très fin et très raisonnable, dont elle donna mainte preuve dans l’éducation et la conduite de son fils Augustin. Cette âme, dure pour elle-même, voilait l’intransigeance de sa foi sous une douceur inaltérable qui était, en elle, plutôt l’œuvre de la grâce qu’un don naturel.

Nul doute que ses allures et son caractère n’aient beaucoup choqué Patritius au début de leur mariage. Il le regretta peut-être. Qu’avait-il besoin de cette nonne à ses côtés ! L’un et l’autre devaient souffrir des ordinaires froissemens, qui ne tardaient pas à se produire dans ces sortes d’unions entre païens et chrétiens. Certes, on n’était plus au temps de Tertullien, au siècle héroïque des persécutions, où les femmes chrétiennes se glissaient dans les prisons, pour baiser les entraves des martyrs.