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grâce de Dieu aidant, c’est par là qu’il s’est sauvé : par la trempe énergique de sa volonté.

Cependant, si la foi de la jeune Monique, dès ses premières années, fut si entière, c’est moins aux leçons de sa mère qu’elle le dut qu’aux exhortations d’une vieille servante, dont elle parlait toujours avec reconnaissance. Cette vieille tenait dans la famille de ses maîtres une place semblable à celle que tient encore aujourd’hui, dans les familles turques, la nourrice, la dada, respectée de tout le harem et de toute la domesticité. Elle était née dans la maison, sans doute, et elle-même avait vu naître tous les enfans. Elle avait porté sur son dos le père de Monique, quand il était petit, comme les femmes kabyles ou les bédouines nomades portent encore leurs nourrissons. C’était une esclave dévouée et quelque peu fanatique, véritable chien du foyer, qui, dans son zèle de gardien, aboie plus, que de raison contre l’étranger qui passe : telle la négresse, dans les maisons arabes d’aujourd’hui. Elle est souvent meilleure musulmane, plus hostile au chrétien, que ses maîtres. Celle-ci avait assisté aux dernières persécutions, elle avait peut-être visité les confesseurs dans les prisons, peut-être vu couler le sang des martyrs. Ces scènes terribles et exaltantes étaient restées dans sa mémoire. Quels récits enflammés la vieille servante devait en faire à ses jeunes maîtresses, quelles vivantes leçons de constance et d’héroïsme ! Monique l’écoutait avidement.

À cause de sa grande foi, cette simple esclave était vénérée presque comme une sainte par ses maîtres, qui lui avaient confié la conduite de leurs filles. Elle se montrait une gouvernante sévère, intransigeante sur la discipline. Avec elle, il n’y avait guère que des choses défendues, — et tel était son ascendant sur ses élèves que celles-ci avaient perdu jusqu’au désir de ces choses défendues. Elle les empêchait de boire, même de l’eau, en dehors des repas. Supplice cruel pour de petites Africaines ! Thagaste n’est pas loin du Pays de la Soif. Mais la vieille leur disait :

— Maintenant vous buvez de l’eau, parce que vous n’avez pas de vin à votre disposition. Plus tard, quand vous serez mariées, maîtresses des caves et des celliers, vous mépriserez l’eau, et votre habitude de boire vous entraînerai…

Monique faillit réaliser la prédiction de la bonne femme. Elle n’était pas encore mariée. Comme elle était très sage et très sobre, on l’envoyait à la cave puiser le vin dans les jarres. Avant