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ces deux êtres, qui se ressemblaient si peu, entre lesquels il y avait enfin une si grande différence d’âges, sans parler de tout le reste, unirent-ils leurs destinées ? Ce sont là des questions que les gens de Thagaste n’auraient même pas songé à se poser. Patritius se maria pour faire comme tout le monde, — et aussi parce qu’il était plus que quadragénaire, que sa mère était vieille et que, bientôt, elle ne serait plus capable de diriger sa maison.

Monique aussi avait encore sa mère. Les deux vieilles femmes s’abouchèrent ensemble, avec beaucoup de politesses et de formules cérémonieuses, et, parce que la chose leur paraissait raisonnable et pleine de convenance, elles décidèrent le mariage. Patritius avait-il jamais vu la jeune fille qu’il allait prendre, selon la coutume, pour avoir des enfans et conduire son ménage ? Il se peut bien que non. Était-elle jolie, riche ou pauvre ? Ces considérations, il les jugeait secondaires, le mariage n’étant point une affaire de cœur, mais un devoir traditionnel à remplir. Il suffisait que l’union fût convenable. Ce qu’il y a de sûr, en tout cas, c’est que Monique était très jeune. Elle avait vingt-deux ans lorsque naquit Augustin, qui, probablement, n’était pas son premier-né. Nous savons qu’elle était à peine nubile, lorsqu’on la livra à l’homme qui l’épousait, comme font leurs parens, des adolescentes ou des petites filles arabes. Or, en Afrique, les femmes sont nubiles de très bonne heure. On les marie à quatorze ans, quelquefois même à douze. Peut-être avait-elle dix-sept ou dix-huit ans, au plus, lorsqu’elle épousa Patritius. Elle aurait eu d’abord un fils, Navigius, que nous retrouverons plus tard à Milan, et aussi une fille, dont nous ne savons même pas le nom, qui devint religieuse et supérieure d’un monastère dans le diocèse d’Hippone. Ces deux autres enfans de Monique et de Patritius sont, pour nous, des physionomies effacées. Ils disparaissent dans le rayonnement du grand frère illustre.

Monique contait volontiers à son fils chéri ses souvenirs. Il nous en a transmis quelques-uns.

Elle avait été élevée durement, selon la mode d’alors. Ses parens étaient chrétiens, et chrétiens catholiques, depuis plusieurs générations. Ils avaient résisté à l’entraînement du schisme de Donat : c’étaient des gens obstinés dans leur conviction, — caractère aussi fréquent en Afrique que son opposé, le type du Numide ou du Maure versatile et volage. Il n’est pas indifférent qu’Augustin soit sorti de cette race opiniâtre. La