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avoir besoin de leur protection pour sauver son modeste patrimoine de la rapacité du fisc. Ensuite, les emplois les plus lucratifs étaient encore inséparables des sacerdoces païens. Le père d’Augustin se croyait donc fort avisé en ménageant une religion qui était toujours si puissante et qui récompensait si bien ses adeptes.

Pourtant, il est incontestable qu’en ces années-là le paganisme, politiquement parlant, était en mauvaise posture. Il était mal vu du gouvernement. Depuis la mort de Constantin, les « sacrés Empereurs » lui faisaient une guerre acharnée. En 353, à la veille de la naissance d’Augustin, Constance promulgua un édit qui ordonnait à nouveau la fermeture des temples et l’abolition des sacrifices, — et cela, sous peine de mort et de confiscation. Mais, dans les provinces éloignées, comme la Numidie, l’action du pouvoir central était lente et incertaine. Elle s’y exerçait souvent par des intermédiaires hostiles ou indifférens au christianisme. L’aristocratie locale et sa clientèle s’en moquaient plus ou moins ouvertement. Dans leurs immenses villas, derrière les murailles de leurs parcs, les riches propriétaires offraient des sacrifices, organisaient des processions et des fêtes, comme si de rien n’était. Patritius savait tout cela. Et, d’autre part, il pouvait constater la marche envahissante de la religion nouvelle. Pendant la première moitié du IVe siècle, Thagaste avait été conquise par les schismatiques du parti de Donat. Depuis l’édit de Constant contre les donatistes, les habitans de la petite ville, par crainte des rigueurs impériales, étaient revenus au catholicisme. Mais la pacification était loin d’être complète et définitive. A la suite de l’édit, toute la région de l’Aurès avait été en révolution. L’évêque de Bagai, retranché dans sa ville épiscopale et dans sa basilique, avait soutenu un véritable siège contre les troupes romaines. Un peu partout, la lutte se poursuivait sourdement entre donatistes et catholiques. Thagaste, sans doute, n’était pas à l’abri de ces divisions. A ceux qui le pressaient de recevoir le baptême, le père d’Augustin pouvait répondre, avec une déférence ironique : » J’attends que vous soyez d’accord, pour savoir où est la vérité. » Au fond, ce païen assez tiède ne ressentait pas une répugnance invincible contre le christianisme.

Ce qui le prouve d’abord, c’est qu’il épousa une chrétienne.

Comment Monique devint-elle la femme de Patritius ? Comment