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Chasser, monter à cheval, parader à l’occasion, surveiller ses métayers et ses esclaves agricoles, bâcler un de ces marchés où triomphe l’astuce africaine, telles étaient les occupations de Patritius. Il se laissait vivre en somme sur son petit domaine. Parfois, des accès d’activité, des colères furibondes emportaient cet homme indolent. Il était violent et brutal. Dans ces momens-là, il frappait en aveugle. Il aurait même souffleté ou roué de coups sa femme, si la réserve de celle-ci, sa dignité et sa douceur de chrétienne ne lui eussent imposé. Ne jugeons pas de ces façons d’après les nôtres : nous n’y comprendrions rien. Les mœurs antiques, les mœurs africaines surtout, étaient un déconcertant mélange de raffinement extrême et d’inconsciente brutalité.

C’est pourquoi il ne faudrait pas trop nous exagérer les débordemens de Patritius, auxquels son fils fait une discrète allusion. Qu’il n’ait pas été un scrupuleux observateur de la foi conjugale, c’était, en ce temps-là, plus qu’au nôtre, péché véniel aux yeux du monde. Au fond, l’Africain a toujours souhaité, dans sa maison, un harem : il aspirait naturellement à la polygamie musulmane. A Carthage et ailleurs, la morale publique était pleine d’indulgence pour le mari qui se permettait des privautés ancillaires. On en riait, on excusait le coupable. On était plus sévère, il est vrai, pour la matrone qui en usait de même avec ses esclaves. Cela se voyait pourtant. L’évêque d’Hippone, dans ses sermons, reprochera énergiquement aux époux chrétiens ces adultères trop fréquens, que l’on considérait à peine comme des fautes.

Patritius était païen : ce qui explique, en partie, son relâchement. Dire qu’il est resté fidèle au paganisme jusqu’à la fin de sa vie, ce serait sans doute aller trop loin. Ce conseiller municipal de Thagaste ne devait pas être un païen très convaincu. Les raisons d’ordre intellectuel et spéculatif le touchaient médiocrement. Ce n’était point un disputeur comme son fils. Il était païen par routine, par conservatisme inné de bourgeois et de propriétaire, qui s’attache obstinément à ses traditions de caste et de famille. Il l’était aussi par prudence et par diplomatie. Beaucoup de grands seigneurs terriens continuaient à défendre et à pratiquer le paganisme, probablement pour des motifs analogues à ceux de Patritius lui-même. Celui-ci ne voulait pas se brouiller avec les personnages importans et influent du pays. Il pouvait