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romaine, nous qui considérons l’Afrique comme un prolongement de la patrie française. Plus qu’aucun écrivain, il a exprimé le tempérament et le génie de son pays. Cette Afrique bariolée, avec son mélange éternel de races réfractaires les unes aux autres, son particularisme jaloux, les contrariétés de ses aspects et de son climat, la violence de ses sensations et de ses passions, la gravité de son caractère et la mobilité de son humeur, son esprit positif et frivole, sa matérialité et son mysticisme, son austérité et sa luxure, sa résignation à la servitude et ses instincts d’indépendance, son appétit de l’empire, tout cela se reflète en traits saisissans dans l’œuvre d’Augustin. Non seulement il a exprimé sa patrie, mais, dans la mesure où il l’a pu, il a réalisé son vieux rêve de domination. Cette suprématie que Carthage avait disputée si longuement et si chèrement à Rome, elle a fini par l’obtenir, grâce à Augustin, dans l’ordre spirituel. Tant qu’il a vécu, l’Église d’Afrique a été la maîtresse des Églises d’Occident.

Pour moi, si j’ose me citer en un sujet pareil, j’ai eu la joie de saluer en lui, outre le docteur et le saint que je vénère, le type idéal du Latin d’Afrique. Cette image que j’avais vue s’ébaucher autrefois, parmi les mirages du Sud, en suivant les chariots de mes rudes héros, je l’ai vue enfin se préciser, s’épurer, s’ennoblir et grandir jusqu’au ciel, en suivant les traces d’Augustin.

Et, quand bien même l’enfant de Thagaste, le fils de Monique n’aurait pas mêlé si profondément sa vie à la nôtre, quand il serait, pour nous, un étranger né en pays lointain, il n’en resterait pas moins une des âmes les plus aimantes et les plus lumineuses qui aient lui parmi nos ténèbres et qui aient réchauffé nos tristesses, — une des créatures les plus humaines et les plus divines qui soient passées par nos chemins.