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l’Empire. S’il fut un docteur et un saint, il fut aussi le type de l’homme d’action à une des époques les plus découragées. Qu’il ait triomphé de ses passions, cela, en somme, ne regarde que Dieu et lui. Qu’il ait prêché, écrit, remué les foules, agité les esprits, cela peut paraître indifférent à ceux qui rejettent sa doctrine. Mais qu’à travers les siècles son âme brûlante de charité échauffe encore les nôtres, qu’à notre insu, il continue à nous former, et que, d’une façon plus ou moins lointaine, il soit encore le maître de nos cœurs, et, à de certains égards, de nos esprits, voilà qui nous touche les uns et les autres, indistinctement. Non seulement Augustin a toujours sa grande place dans la communion vivante de tous les baptisés, mais laine occidentale est marquée à l’empreinte de la sienne.

D’abord, sa destinée se confond avec celle de l’Empire finissant. Il a vu sinon la disparition totale, du moins l’évanouissement graduel de cette chose admirable que fut l’Empire romain, image de l’unité catholique. Or, nous sommes les débris de l’Empire. D’ordinaire, nous nous détournons avec dédain de ces siècles pitoyables qui subirent les invasions barbares. Pour nous, c’est le Bas-Empire, une époque de honteuse décadence qui ne mérite que nos mépris. Cependant, c’est de ce chaos et de cette abjection que nous sommes sortis. Les guerres de la République romaine nous touchent moins que les brigandages des chefs barbares qui détachèrent notre Gaule de l’Empire et qui, sans le savoir, préparèrent l’avènement de la France. Que nous font, en définitive, les rivalités de Marius et de Sylla ? La victoire d’Aétius sur les Huns dans les plaines catalauniques nous intéresse bien davantage. Enfin, c’est être injuste pour le Bas-Empire que d’y voir seulement une époque de faiblesse, de lâcheté et de corruption. Ce fut aussi une époque d’activité effrénée, féconde en aventuriers de grande envergure, dont quelques-uns se montrèrent héroïques. Même les plus dégénérés des derniers empereurs ne perdirent jamais le sentiment de la grandeur et de la majesté romaines. Jusqu’à la fin, ils emploient toutes les ruses de leur diplomatie à empêcher les chefs barbares de se croire autre chose que des serviteurs de l’Empire. Honorius, traqué dans Ravenne, s’obstine à refuser à Alaric le titre de chef de la milice, dût-il, par son obstination, livrer Rome au pillage et risquer sa propre vie.

Par sa fidélité à l’Empire, Augustin se manifeste déjà l’un des nôtres, un Latin d’Occitanie. Mais des analogies plus étroites le