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Ce moyen qui manquait nous a été subitement procuré par les projets de l’Allemagne et par le pompeux étalage que le gouvernement impérial en a fait lui-même. Il était sans doute impossible de les exécuter sans le dire et, quand bien même on ne l’aurait pas dit, une réforme aussi importante n’aurait pas pu passer inaperçue; mais le gouvernement impérial aime à frapper les esprits par de solennelles et de bruyantes démonstrations, et il s’est livré plus que jamais, depuis quelques semaines, à cette tendance qui lui est naturelle. Les discours retentissans de l’Empereur et du chancelier n’ont pas permis au monde de se tromper sur leurs intentions. L’Empereur en particulier a enflé sa voix qui, même lorsqu’il en contient l’éclat, porte pourtant si loin. Son dernier discours a été prononcé dans les conditions les plus propres à faire impression, en face de ses troupes, dans l’allée du Thiergarten où sont, en longues files à droite et à gauche, les statues de marbre de ses ancêtres. Il s’est placé devant celle de Frédéric-Guillaume III, le vaincu de 1806, la victime de Napoléon Ier et là, après avoir rappelé les souvenirs d’il y a cent ans, il a établi une comparaison, bien arbitraire à coup sûr, entre 1813 et 1913. Il y a eu en 1813, en Allemagne, un admirable élan de patriotisme contre le despotisme d’un homme qui dominait l’Europe et avait abusé de son prodigieux génie : on chercherait bien vainement aujourd’hui une analogie même lointaine avec la situation d’alors. Ce n’est pas la France qui menace maintenant la paix ; mais peu importe à l’empereur Guillaume ; il sait ce qu’il veut et l’histoire qu’il évoque est pour lui un instrument politique. Son but est de développer encore sa force militaire et il a besoin, pour cela, de demander à son pays un immense sacrifice. Voilà pourquoi il a parlé si haut et si fort. Ce qu’il n’a pas dit nettement, la presse s’est chargée de le préciser, et la Gazette de Cologne a accusé la France de troubler la paix de l’Europe en vue de reprendre l’Alsace et la Lorraine. Les articles de journaux sont peut-être négligeables, mais la voix de l’Empereur ne l’est pas; elle n’a pas été entendue seulement en Allemagne, mais dans le monde entier et en France plus que partout ailleurs. Elle y a réveillé l’esprit public et nous a donné l’occasion de pourvoir, nous aussi, à nos insuffisances militaires, de perfectionner notre armement et, ce qui était plus important encore, de compléter nos effectifs. Cette occasion a été mise à profit pour obvier à des maux anciens et profonds qui diminuaient peu à peu la force de notre armée et l’auraient diminuée encore davantage dans l’avenir à cause de la faiblesse croissante de notre natalité. Il n’était que temps pour nous de prendre un parti, il n’y en avait