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rendre hommage aux qualités intellectuelles et morales de celui de tous les compagnons de l’Empereur qu’ils admiraient, à la fois, et redoutaient le plus. Le duc Eugène de Wurtemberg, par exemple, et son adjudant Woldemar von Lœwenstern, — qui tous deux, aux premières nouvelles de la rupture de Napoléon avec Alexandre, étaient venus s’engager dans l’armée russe, afin de combattre celui qu’ils regardaient comme l’oppresseur de leur patrie, — nous ont raconté à leur point de vue cette même retraite pendant laquelle, plusieurs fois, ils avaient eu l’illusion de pouvoir enfin saisir l’insaisissable héros de la Moskowa ; et nulle autre part peut-être ne nous apparaît plus clairement que dans leurs récits l’effrayante difficulté d’une tâche dont ils reconnaissent que pas un d’entre eux n’aurait été capable de la mener à bien. Tout au long du livre de M. Holzhausen, du reste, les témoignages des membres allemands de la Grande Armée s’accordent à louer chaleureusement le maréchal Ney, adoré de tout le monde pour sa simplicité et sa bonté de cœur : sans compter que son origine alsacienne, probablement, et sa connaissance de la langue allemande permettaient à tous ces Bavarois, Badois ou Westphaliens de le regarder un peu comme l’un des leurs. Après lui, c’est Murat qui semble avoir le mieux réussi à se gagner l’affection des troupiers allemands. Celui-là, il est vrai, ne savait point leur langue, et son attitude hautaine pendant les marches, son désir trop visible de se poser en souverain s’éloignaient autant que possible de la charmante bonhomie d’un Ney, ou encore d’un Eblé, — autre favori des narrateurs cités par M. Holzhausen. Mais de nombreuses expériences avaient appris à ces braves gens que, sitôt la bataille engagée, un Murat tout différent se substituait à l’orgueilleux roi de Naples ; aussitôt celui-ci redevenait pour tous les soldats un affectueux camarade en même temps que le plus vaillant des chefs, avec une flamme guerrière qui, rayonnant de chacune de ses paroles et de chacun de ses gestes, se transmettait irrésistiblement à tout son entourage. De telle manière que la vue de Murat exerçait, sur l’armée entière, une influence très profonde et très bienfaisante. Chacun avait l’impression que, sous la conduite suprême de l’Empereur et avec l’appui effectif du roi de Naples, la terrible affaire où l’on se trouvait engagé ne pouvait pas être complètement, irrémédiablement perdue ; et chacun était reconnaissant à Murat de l’espèce de réconfort ou de consolation qu’inspirait sa présence.

Ney, Murat, Eblé et ce général Montbrun dont on se rappelle la mort héroïque sur le champ de bataille de Borodino : autant