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retourné vers mes hommes, qui avaient rejoint les Français près de la haie du jardin, lorsqu’une balle ennemie vint écraser si cruellement la tête de ce vaillant jeune homme, — avec qui j’avais fait connaissance moins de dix minutes auparavant, — que des fragmens de sa cervelle se collèrent, entourés de son sang, sur la cloison de bois d’une maisonnette élevée au milieu du jardin. Pour la première fois de ma vie, je voyais les balles ennemies pleuvoir autour de moi comme une véritable grêle, arrachant et semant à terre le feuillage des arbres. Vers midi, cependant, l’on nous fit sortir de ce terrible jardin, et nous pénétrâmes dans la grande rue du faubourg, l’ennemi s’étant enfin décidé à faire reculer ses troupes. Attendant les instructions ultérieures, nous nous tenions là, l’arme au pied, lorsque soudain le général Koch, qui se trouvait en tête de nous, reçut brusquement une balle qui, lui traversant successivement le bras et la poitrine, lui fit du même coup quatre mauvaises plaies. — A la tombée du soir, nous reçûmes l’autorisation de camper dans les différentes rues du faubourg. Mes hommes m’apportèrent de la farine et de la graisse qu’ils avaient découvertes dans les maisons, précipitamment abandonnées par leurs habitans ; et déjà j’étais en train de me préparer une succulente bouillie, lorsqu’une balle ennemie s’abattit dans mon feu, et me força de laisser tomber ma casserole avec tout son contenu. Malgré toute la gravité critique de notre situation, cet incident nous égaya merveilleusement, comme l’avait fait déjà, le matin, l’aventure d’un officier français du quatrième régiment, de si petite taille qu’il lui avait été impossible de franchir légué, de telle sorte qu’il avait dû se faire porter par ses hommes sur une espèce de civière formée de leurs fusils.


Il y aurait également à citer, comme l’une des parties les plus attachantes du livre de M. Holzhausen, la demi-douzaine de relations allemandes consacrées à l’histoire de cette admirable retraite du maréchal Ney, entre Smolensk et la Bérésina, qui déjà dans l’ouvrage classique de Ségur nous a laissé un très profond et vivant souvenir. Allemands et Polonais, comme l’on sait, étaient nombreux dans l’arrière-garde confiée par Napoléon au plus habile de ses généraux ; et l’on sait aussi parmi quels dangers à peine croyables s’est accomplie la retraite de la troupe héroïque, jusqu’à cette journée du 21 novembre où Napoléon, attablé pour son déjeuner en compagnie du maréchal Lefebvre, eut enfin la joie de voir apparaître le jeune Gourgaud, envoyé par le vice-roi d’Italie afin de lui annoncer l’arrivée de Ney. En une semaine, l’armée de celui-ci s’était réduite à 900 hommes, si misérablement fatigués et épuisés que près de la moitié d’entre eux allaient succomber avant l’étape de Wilna. Ce sont des survivans de ces 900 hommes qui, dans le volume de M. Holzhausen, nous décrivent les tragiques épreuves qu’ils ont traversées ; et le tableau qu’ils nous en font, les témoignages sur lesquels ils appuient leur