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les rythmes, les assonances, les rimes qui précèdent et qui suivent, tout cela, et quelque chose de plus secret encore, donne au tercet de Dante la valeur d’une véritable musique de musicien. » Tout cela, c’est la nature ou l’essence musicale, c’est, — qu’on nous passe le néologisme, — la musicalité du génie de Dante. Mais son œuvre même abonde en exemples, en comparaisons, plus encore en descriptions, en tableaux empruntés à l’ordre sonore. S’il n’y a pas de musique dans l’Enfer, le Purgatoire et surtout le Paradis baignent dans la musique autant que dans la lumière. Les deux élémens s’y combinent, ils y agissent de concert et, de quelque manière, en fonction l’un de l’autre. Or il semble bien, et nous ne prétendons pas davantage, que dans la troisième partie du Faust de Schumann, l’imagination musicale ait approché, plus que nulle part ailleurs, de l’imagination poétique de Dante. Ici l’image sonore, à tout moment, éveille le souvenir de l’image verbale ; on dirait qu’elle l’imite, ou qu’elle en dérive, et par cette analogie elle ajoute la beauté d’un rapport ou d’un reflet, et lequel ! à sa personnelle et spécifique beauté. Reflet du sentiment parfois, et parfois reflet de la forme elle-même :


Cosi la circolata melodia
Si sigillava[1]...


Que d’exemples ne citerait-on pas, dans la partition de Schumann. de mélodies en quelque sorte circulaires, et que la cadence finale, comme un cachet, comme un sceau, vient fermer ! Et puis, et surtout, dans l’un et l’autre Paradis, la musique n’est que tendresse et qu’amour. « Regina cœli, chantaient-ils, si doucement, que de moi jamais plus ne s’en éloigna le délice[2]. » Ailleurs : « La mélodie la plus suave qui résonne ici-bas, attirant le plus à soi notre âme, paraîtrait le fracas du tonnerre déchirant la nue, à côté des sons de cette lyre, dont se couronnait le beau saphir qui teint de saphir le plus clair de tous les ciels[3]. » Ce saphir qui bleuit l’empyrée, c’est la Vierge,

  1. Parad., c. XVIII.
  2.  ::Regina cœli cantando si dolce,
    Che mai da me non si parti il diletto.
    Parad., c. XXIII.
  3.  ::Quatunque melodia più dolce suona
    Quaggiù, e più a sè l’anima tira,
    Parrebbe nube che squarciata tuona,
    Comparata al sonar di questa lira,
    Onde si coronava il bel zaffiro
    Del quale il ciel più chiaro s’inzaffira.
    Parad., c. XXIII.