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répond à la mélodie, une harpe constamment l’enveloppe. « Comme un bon cithariste accompagne un bon chanteur avec le frétillement de la corde, en sorte que le chant en reçoit plus de charme. « 


E come a buon cantor buon citarista
Fa seguitar lo guizzo della corda
In che più di piacer lo canto acquista[1].


Après le calme du début, voici le mouvement ; après la pensée au repos, la pensée en acte. Aussi bien, l’alternance de ces deux élémens, de ces deux états, entre lesquels se partage même la conclusion chorale de l’ouvrage, assure, du commencement à la fin, l’équilibre et la parfaite harmonie de ce « Paradis » en musique. Oui, « Paradis, » voilà le mot, le souvenir inévitable, par où la troisième partie du Faust de Schumann va rejoindre, encore plus loin, plus haut que le Faust de Gœthe, la troisième « cantica » de la Divine Comédie.

Trois vers de Dante sont venus sous notre plume. Combien d’autres, sans nombre et d’eux-mêmes, s’ajouteraient à ceux-là ! Dante et la musique ! Admirable sujet, que nous avons ébauché naguère et que traita depuis, sans l’épuiser, un de nos confrères italiens[2]. Carlyle a dit un jour : « Le poème de Dante est un chant. C’est Tieck qui l’appelle un mystique et insondable chant, et tel est littéralement son caractère... Je donne à Dante ma plus haute louange, quand je dis de sa Divine Comédie qu’elle est, en tout sens, essentiellement, un chant... Sa profondeur, et sa passion ravie, et sa sincérité, la font musicale. Allez assez profond, il y a de la musique partout... Dante est le porte-parole du moyen âge ; la pensée dont on vivait alors s’élève là, en musique éternelle. »

A côté de cette page, on nous permettra d’en rappeler une autre, par nous déjà citée, et qui vaut la première : « Dante et la musique, nous écrivait Arrigo Boito, comment ne s’est-il pas trouvé jusqu’ici, à travers six siècles de lecture, un lecteur de la Divine Comédie assez musicien pour sentir la beauté de ce thème et la nécessité de la proclamer !... Prenez-y garde : Dante a créé la polyphonie de l’idée ; ou, pour mieux dire, le sentiment, la pensée et la parole s’incarnent chez lui si miraculeusement, que cette trinité ne fait plus qu’une unité, un accord de trois sons, parfait, où le sentiment, lequel est l’élément musical, prédomine. La divination par laquelle il choisit la parole, la place que cette parole occupe, ses liens mystérieux avec les vocables,

  1. Dante, Parad., c. XX.
  2. M. Arnaldo Bonaventura, Dante e la musica. Livorno. Guisti editore. 1904.