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mais de tout un ensemble, d’un ample poème sonore. C’est une symphonie pour orchestre, soli et chœurs, ou groupes de voix çà et là détachés des chœurs. L’ordonnance en est variée autant que vaste. La diversité des rythmes et des mouvemens y est égale à celle des sonorités, à celle des personnages et des sentimens eux-mêmes, l’état d’âme, ou des âmes, allant ici de la prière fervente, passionnée, à la contemplation pure et à l’extase. Partout cependant règne la paix. La musique tantôt n’exprimait guère que l’aspiration, la tendance et la mobilité ; maintenant elle s’est fixée à jamais, elle a revêtu le caractère, elle porte le signe du repos, de l’accomplissement et de la consommation éternelle.

Le premier chœur est exquis. « Ravins, bois, rochers, solitude. Saints anachorètes dispersés sur les sommets ou dans les grottes. » Telles sont les indications de Ga ?the, et la musique s’y conforme naturelle, ou pittoresque, et surnaturelle à la fois, paysage de la terre en même temps que du ciel. Plein ciel ensuite, peuplé d’anges et d’élus, de saints docteurs, de saintes femmes et d’enfans bienheureux. Le chœur universel des voix, quelques voix unies, une voix isolée, se partagent la longue série des chants. Trois vieillards, trois « pères, » que Gœthe a nommés, de noms un peu scolastiques, Pater Extaticus, Pater Profundus, Pater Seraphicus, se répondent d’abord. Le premier, dit Gœthe encore, « flotte dans l’air, tantôt en haut, tantôt en bas, » et son ardente cantilène, surtout le chant de violoncelle solo qui l’accompagne ou l’enlace, s’élève et s’abaisse pareillement. A chaque instant, la direction des lignes, l’aspect des figures sonores se renouvelle et se métamorphose. Horizontale ici, la mélodie ailleurs se forme en cercles, en sphères mouvantes. Ailleurs même elle tombe, retombe, et, la musique imitant les images de la poésie, l’une fait pleuvoir les notes ainsi que l’autre les fleurs. Un motif choral offre quelque ressemblance avec le chant, choral aussi, du finale de la Neuvième symphonie. Il a ce même caractère de généralité, voire d’universalité, que Wagner avait raison de signaler et d’admirer dans le thème beethovenien.

Quant au chœur central : « Il est sauvé ! » chœur des anges « portant, dit le texte de Gœthe, ce qu’il y a d’immortel dans Faust, » il est peut-être l’édifice sonore le plus vaste et le mieux ordonné que Schumann ait jamais construit. Le cantique des roses effeuillées, comme un portique élégant, le précède. L’ensemble de la polyphonie se compose d’étages ou d’ordres divers. Parmi les lignes ou les forces de la musique, les unes paraissent monter, les autres descendre. Il y a des