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de plénitude ; éparse tout à l’heure en minces filets, elle s’épanche maintenant comme un torrent.

Elle ne dévie ni ne décroît jusqu’à la fin de la scène. Aveuglé pour jamais par le spectre malfaisant, Faust ne permet qu’un sanglot, déchirant, à sa souffrance ; il n’accorde qu’un adieu, sublime, au jour, à la lumière qu’il a tant aimée et qu’il ne verra plus. Mais le poète l’a dit :


Quand l’œil du corps s’éteint, l’œil de l’esprit s’allume.


La musique de Schumann pourrait servir de paraphrase magnifique au vers de Victor Hugo, et cette lumière intérieure, qui transparaît, qui rayonne au dehors, un héroïque épilogue en célèbre l’éclosion, le progrès et l’épanouissement.

Dernière scène terrestre : la mort de Faust. Devant les portes du palais, les bêches, les hoyaux frappent et fouillent le sol. Des travailleurs sont à l’œuvre : à l’œuvre que Faust a souhaitée, ordonnée pour le bien de son pays, de ses frères, et qu’il croit entendre enfin s’accomplir. Œuvre de mort en réalité, de sa mort à lui, de qui les pionniers infernaux, en chantant, creusent la tombe. Ricanant tout bas avec eux, Méphistophélès mène le chœur ironique et la funèbre besogne. La musique est mêlée étrangement ici de bonhomie hypocrite et de sourde haine. Aveugle, mais voyant, Faust longuement s’enivre de ses visions grandioses et vaines. Dieu manque seul en ces pages, qui respirent, a dit quelqu’un, la volupté de l’amour social, et qu’on définirait assez bien un chef-d’œuvre de lyrisme philanthropique. L’action, l’activité qui s’exalte jusqu’au paroxysme, tel est de plus en plus le caractère ou l’éthos de la musique. Mais voici que du faîte où cette musique est montée, par une soudaine, une brutale rupture, elle tombe, nous donnant la sensation tragique de la vie, de l’être à son comble, anéanti tout d’un coup et tout entier. Une fois encore, après la plénitude, c’est le vide et presque le silence. Au-dessus de l’abîme flottent seulement quelques mots, quelques notes de Méphistophélès, méprisantes et froides. Puis les chœurs, en peu de mesures, et l’orchestre plus longuement, les trombones surtout, des trombones à la Berlioz, majestueux et doux, exhalent la plainte et le deuil de l’humanité tout entière, pour laquelle ont été, généreuses et fières, mais, hélas ! impuissantes aussi, les dernières pensées du héros.

Humaine en effet, profondément, et même, au gré de certains, obscurément humaine en ces deux premières parties, la musique de Schumann, dans la dernière et la plus développée, rayonne de lumière, de la lumière céleste. Il ne s’agit plus ici d’une ou de plusieurs scènes.