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l’anéantit[1]. » Alors, dans la musique active, enthousiaste, il se fait de soudaines ruptures et comme des vides affreux, il s’ouvre des parenthèses, des silences tristes jusqu’à la mort. Après toute la grandeur de l’homme, c’est toute sa misère, c’est le néant à côté de l’être, et toujours prêt à l’engloutir. Encore une fois, tout cela peut-être est de la philosophie, mais vivante, mais humaine, et qui propose, il faut le reconnaître, à la poésie d’abord, ensuite à la musique, un bien autre caractère, un tout autre héros, que le Faust amoureux.

Poétique et musical, le personnage grandit et s’élève dans les deux scènes qui suivent. D’abord, quatre ombres, quatre fantômes de vieilles femmes assiègent la porte de son palais. Mais leur assaut n’a rien de brutal, ni même de bruyant. Au contraire, tout l’effet du morceau (pour quatre voix de femmes et orchestre) ne consiste que dans un pianissimo constant. Le rythme est d’un scherzo léger, en notes piquées et frêles, au-dessus desquelles, à l’aigu, des tenues d’instrumens à vent, dont une petite flûte sinistre, s’étendent longuement. Aussi bien, — depuis la dernière reprise, en pizzicati et tout bas, du scherzo de la symphonie en ut mineur, — on sait quelle impression d’angoisse est capable de produire l’extrême ténuité des sons.

Trois des lugubres compagnes s’en sont allées. Une seule demeure. Autour de Faust alarmé, tremblant, une musique indigente à dessein, des notes distantes, de maigres et creuses harmonies, des unissons grêles, semblent faire le vide, la solitude et presque le silence. Un dialogue à mi-voix s’engage entre le héros et la triste visiteuse. D’abord elle se décrit, se dépeint elle-même d’une voix chétive, subtile, qui s’insinue et pénètre. Elle se nomme enfin : die Sorge, du nom féminin que l’allemand lui donne et que traduit mal notre mot français et masculin, le Souci. « Faust, ne l’as-tu jamais connu ! » Alors, oh ! alors, et longtemps, c’est de toute beauté, d’une beauté que peut-être jamais non plus ne connut la musique et que seule aussi pouvait réaliser une musique allemande. L’idée, ou plutôt le sentiment, la joie, l’orgueil de vivre, inspire à Faust une protestation passionnée contre tout ce qui peut menacer, troubler la vie, ou seulement l’amoindrir. La réplique est d’une vigueur et d’une abondance étonnante. Sur ces mots : « Je n’ai fait que désirer et accomplir, » elle atteint au plus haut degré du lyrisme, au paroxysme de l’éloquence. Autant la musique avait de maigreur et de misère, autant elle a de richesse et

  1. Caro, op. cit.