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du réveil de Faust, accompagne l’état d’âme, ou plutôt le précède. Autour de Faust endormi, les Esprits de l’air voltigent et murmurent. Alors, dira-t-on, comme dans Berlioz ? Non pas, et justement il n’y a rien ici de pareil. Rien ici ne ressemble à la berceuse étrange, unique aussi dans son genre, du Méphistophélès de la Damnation, contemplant son compagnon, son disciple, j’allais dire son enfant, couché parmi les roses.


Sur ce lit embaumé,
O mon Faust bien-aimé...


Qui pourrait oublier, l’ayant, ne fût-ce qu’une seule fois, entendue, accompagnée solennellement par les harmonies étouffées des instrumens de cuivre, l’incantation mystérieuse, magique, et pourtant si humaine, paternelle même, où l’âme du réprouvé s’attendrit sur la créature en proie à son funeste pouvoir. Il y a là comme une halte sur la voie de perdition et, dans l’éternelle haine, un instant, un soupir d’amour. Très différente est la scène de Schumann. Le démon d’abord n’y figure pas. Et puis, autour de Faust endormi, tout dans la nature est propice. Pour lui, comme eût dit Renan, « l’intention de l’univers est généralement bienveillante. » Rien de fantastique et rien de méchant ; partout la grâce et la tendresse : une introduction délicieuse, où les notes vives, détachées, des harpes, alternent avec les cantilènes liées, enveloppantes, du quatuor ; puis d’aimables chœurs, où le rythme caressant, à deux, à quatre temps, est mêlé, çà et là, de triolets qui l’alanguissent encore. C’est une chose originale et belle que le lever du soleil. Pour le figurer, la musique, au lieu de s’étendre et de s’épancher, ainsi qu’elle fait souvent, se rassemble au contraire et s’amincit en un rayon, presque en un point, le « point brillant » dont parle Rousseau, qui « part comme un éclair. »

Les premiers accens de Faust réveillé sont pour saluer, remercier la nature, qu’il retrouve une fois de plus vivante et mêlée à sa propre vie. « Tu excites en moi, lui dit-il, une forte résolution de tendre toujours au plus haut degré de l’être. » La tendance, l’aspiration, voilà le sentiment exprimé dans ces pages, avec une singulière énergie, par la musique de Schumann. Mais cette énergie (et cela encore est très conforme à l’idée de Gœthe, au caractère de Faust), cette énergie a ses retours, ou ses défaites. La vie, ardemment convoitée, saisie âprement, à chaque instant se dérobe. « Partout où se manifeste dans le monde la puissance créatrice, une ombre se lève à côté, qui limite cette puissance, et, dans une certaine mesure,,