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par note dans la symphonie et dans l’ame de la malheureuse. Tout conspire contre celle-ci, tout, jusqu’au chant d’un Dies iræ, plutôt imprécation que prière, et qui, bien loin de la relever, ne fait que l’écraser davantage. Ainsi les élémens, les forces conjurées de la musique donnent toutes ensemble, dans le même sens, et se prêtent mutuellement un atroce secours. Enfin leur pesée, leur poussée universelle aboutit à ce manquement de tout l’être, que figurent admirablement par leur simplicité, par leur banalité même, succédant à tant de lyrisme, les trois pauvres mots prêtés par Gœthe à Marguerite défaillante : « Voisine, votre flacon ! » Le traducteur, hélas ! a traduit ainsi : « Il m’a dit : Sois maudite ! » Mais, balbutiées tout bas, entrecoupées et comme évanouies dans le vide, les notes suffisent à rendre admirablement la détresse, en même temps que la familiarité, de ce dernier recours.

Quant aux trois scènes suivantes, elles n’ont leurs pareilles en aucune musique inspirée par le poème de Gœthe. Autrefois Caro donna pour titre à l’un des chapitres de son livre sur la Philosophie de Gœthe : « L’idée de l’activité, unité du poème, principe du salut de Faust. » Non pas, en réalité, principe unique : le repentir et l’intercession de Marguerite y auront eu pour le moins autant de part. Quoi qu’il en soit, le salut du héros est célébré dans la dernière partie de l’œuvre de Schumann, admirable série de tableaux ou de cercles sonores, de plus en plus vastes et rayonnans. Les trois épisodes qui forment la seconde partie ont pour sujet l’activité de Faust, ou son action : « C’est l’action maintenant qui va prendre sa vie, c’est l’action qui tente sa liberté rajeunie, réveillée comme en sursaut, après les angoisses d’un rêve tour à tour enchanté et sinistre. L’action, si l’on prend ce mot dans son sens le plus haut et le plus large, l’action opposée à l’égoïsme delà passion et à celui de la pensée solitaire, opposée à la spéculation qui se dissipe dans l’abstraction vide, ou à l’agitation non moins stérile des vains désirs qui étreignent le nuage ; l’action enfin, soit qu’elle s’exerce dans les devoirs positifs de la vie pratique, soit dans les grandes œuvres qui régénèrent un pays ou un peuple, soit dans la culture esthétique ou scientifique de l’esprit[1]. »


Un tel sujet, ou plutôt un tel programme, est vaste, grandiose même, et très musical. Philosophique, il est vrai, le sentiment, le pathétique s’y mêle à la philosophie, et surtout ce désir fiévreux, dont Schumann a su rendre, entre tous les musiciens, la sombre, inquiète, inextinguible ardeur. Le paysage enfin, dans le tableau du sommeil et

  1. Caro, Philosophie de Gœthe, ch. III.