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aussi. Comme elles furent l’origine de l’ouvrage, elles en demeurent le sommet.

La composition et la disposition de l’ensemble est celle-ci : d’abord trois scènes, tirées du premier Faust : le jardin, Marguerite devant l’image de la Vierge des douleurs, la cathédrale. Puis, trois épisodes empruntés à la suite du poème : le sommeil et le réveil de Faust, son dialogue avec le Souci et sa mort. Enfin, troisième et dernière partie, la plus développée : dans le ciel.

On accorde généralement peu d’intérêt à l’ouverture. On a tort. Inférieure à celle de Manfred pour l’ampleur et le développement, plus ramassée et pour ainsi dire plus en dedans, épaisse et massive, une sourde inquiétude y fermente, qui l’agite et, par momens, la secoue tout entière. Elle a quelque chose de commun avec le caractère du héros ainsi qu’avec sa destinée, au moins sa destinée sur la terre. Rien de léger au contraire comme la scène du jardin. Ce n’est qu’une esquisse, une sorte de concert-promenade à deux personnages : Marguerite et Faust. Méphistophélès et la voisine interviennent seulement à la fin. On dirait d’un lied pour orchestre, accompagné, suivi par le chant, que l’aimable symphonie entraîne en son cours. Nulle passion, mais de la douceur, de la tendresse même, avec ce mélange de désir et de langueur que les Allemands nomment Sejnsucht, et que la musique, leur musique surtout, mieux que notre parler, sait rendre. Mais tout de suite ici, dès les premiers mots et les premières notes, apparaît, autant que l’intimité, que l’unité des unes et des autres, le trouble et le désaccord qu’y introduit un idiome étranger. « Clair de lune empaillé, » disait Henri Heine de sa poésie traduite. De la poésie mise en musique, cela est vrai deux fois.

Une esquisse, ou plutôt une ébauche, mais celle-là rigoureuse et tragique, la prière de Marguerite devant la Vierge des douleurs n’est guère autre chose non plus. La beauté ne consiste pas ici dans l’ordonnance, encore moins dans la suite, mais dans l’inégalité, presque dans l’incohérence d’un style où la ligne mélodique, indiquée à peine, aussitôt se brise, où le chant s’emporte jusqu’au cri, à moins qu’il ne se fonde en sanglots ou ne s’évanouisse en soupirs.

Tout autre, par la composition et le développement, est la scène de l’église. L’ordre pourtant, et même une certaine régularité, s’y concilie avec la violence au paroxysme. Rien de saisissant comme l’exorde ex abrupto de l’orchestre, qui, de chute en chute, semble s’écrouler tout entier sur la pénitente. C’est à la manière d’un coin, ou d’un levier de fer, que la voix inflexible du « Mauvais Esprit « entre, s’enfonce note