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absolu contact, avec une telle poésie. Elles y ont gagné toutes les deux, et cela ne leur fait pas médiocrement honneur. Il est vrai que pour leur beauté commune, composée de deux élémens, dont chacun renforce l’autre et le multiplie, rien n’est dangereux comme l’épreuve de la traduction. L’œuvre de Schumann en souffre, à chaque page, un inévitable autant qu’irréparable préjudice. Nous en signalerons, en passant, plus d’un exemple.

Dès l’année 1845, Schumann écrivait : « Le Faust me préoccupe toujours. Que penseriez-vous de l’idée de traiter tout l’ensemble en oratorio ? N’est-elle pas hardie et belle ? Actuellement, je ne puis qu’y penser. » « Tout l’ensemble, » c’était impossible. Mais il faut reconnaître que Schumann arrêta son choix sur des parties du poème que personne ou presque personne après lui, parmi les musiciens, ne devait choisir. On a reproché communément à Gounod d’avoir extrait de « tout l’ensemble « un épisode unique, celui de Gretchen ; en quoi notre grand musicien d’amour a montré seulement qu’il était meilleur juge que personne de ses inclinations et de ses facultés. Aussi bien, sans prétendre tout traduire de l’œuvre allemande, Gounod du moins n’en a rien trahi. N’était-ce point un Allemand, ce roi de Hanovre, qui, le soir de la première représentation de Faust sur son propre théâtre, admirait qu’un musicien de France « eût été capable d’entrer jusque-là dans l’esprit et la conception de Gœthe. » Allemande aussi, mais à d’autres égards, la Damnation de Faust contredit sur un point essentiel, et rien que par le titre déjà, l’idée première et dernière de l’œuvre originale. On pourrait définir la Faust-Symphonie de Liszt un triptyque sonore, dont chacun des trois personnages principaux, Faust, Marguerite et Méphistophélès, occupe un volet. M. Boito seul a traité dans son Mefistofele certains épisodes empruntés au second Faust : celui d’Hélène, entre autres, et la mort du héros. Seul également, le poète-musicien d’Italie s’est inspiré des scènes mystiques de Gœthe, et le prologue ainsi que l’épilogue dans le ciel nous paraissent même les pages demeurées les plus belles de la partition. Liszt, il est vrai, n’avait pas négligé de donner à son poème une conclusion religieuse : pour célébrer l’influence de l’ « Éternel féminin » et pour fêter le salut de Faust, un chœur reprend et développe le thème ou le motif de Marguerite. L’intention est délicate et l’allusion touchante, mais en effet il n’y a là qu’une allusion, et très brève, à tout l’ordre d’idées, de sentimens, de mystères, qui, dans l’œuvre de Schumann, occupe la première place ; deux fois la première : par la date et par l’importance, ou l’étendue. Écrites avant les autres, les scènes du Paradis les surpassent