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insiste. Au contraire, M. Bergerat a mis sa coquetterie à suivre d’aussi près que possible la pièce italienne, estimant que, puisqu’elle a été jouée en son temps au Vatican, nous n’avons pas le droit d’être plus prudes que le Pape. Mais les temps ne sont pas les mêmes. Au surplus, l’immoralité dans cette pièce est si parfaitement tranquille et la grossièreté si ingénue, qu’elle devient, je ne dis pas acceptable, mais moins choquante.

C’est la matière et c’est le personnel de nos vieux fabliaux : il n’y a d’italien ici que le cadre et les noms. On sait que ces récits populaires n’avaient pas de patrie bien définie et qu’on se les repassait d’un pays à l’autre. Toutefois, nous pouvons nous flatter qu’ils sont pour la plupart venus de chez nous : dès le moyen âge, nous avons fourni l’Europe entière de sujets plaisans et grivois. Je dis plaisans, car c’est un fait que nos pères s’y plaisaient ; et c’est aujourd’hui ce qui nous étonne. Il s’agit, comme toujours, d’un tour pendable joué par un jeune amoureux à un vieux benêt de mari. La femme est honnête, de cette honnêteté des « honnestes dames » qui ne résiste pas à la première occasion : c’est un dogme de cette littérature que toute femme est fragile et toute vertu accessible. Le mari est sot, d’une sottise qui paraîtrait invraisemblable, si l’invraisemblable ne devenait vrai sitôt qu’il s’agit de la sottise d’un mari. La mère est complaisante et donne à sa fille les conseils qu’elle-même a mis en pratique. Le moine est papelard et bénit pour de l’argent les moins légitimes des unions. Le parasite fait fonction d’entremetteur. L’amoureux est l’amoureux. Donc Nicia Calfucci se lamente que la nature lui ait refusé de faire souche de petits Calfuccis. Le jeune Callimaco, déguisé en médecin, lui fait accroire de donner à Mme Lucrezia une infusion de mandragore, et surtout d’introduire auprès d’elle un bon compagnon… Chaque époque a son genre de drôlerie qui a la propriété de la mettre en joie. À notre époque la drôlerie dont est faite la Mandragore assomme. L’impression dominante a été d’un ennui morne.

Toutefois il n’est que juste de rendre hommage à la virtuosité dont M. Émile Bergerat a fait preuve ici, une fois de plus. La langue qu’il fait parler à ses personnages est des plus savoureuses et du tour le plus vraiment comique. Ce sont à chaque instant des trouvailles d’expressions, des ricochets d’images imprévues. La versification est souple, jusqu’à l’acrobatie et la clownerie. La rime est riche, opulente, jusqu’aux jongleries de la rime calembour. Je regrette de n’avoir pas le texte pour en mettre un morceau sous les yeux du lecteur. Par exemple, le prologue tout entier est un régal pour les lettrés. Je citerai