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La Maison divisée est assez bien une tragédie, quoiqu’en prose. Elle en a l’espèce de tension sans répit et de sublime continu. Elle a plu au public par cet air d’extrême jeunesse. La jeunesse qui écrit est volontiers grave : elle n’a pas le sourire. Elle affectionne les débats de doctrine et peint des personnages qui sont des symboles, n’ayant pas encore été à même d’observer comment se comportent les êtres réels. J’ajoute qu’en général, soit pour ses idées, soit pour la façon dont elle les exprime, elle est un peu en retard. Ce n’est pas ce qu’on pense habituellement, je le sais. On croit volontiers que ces lèvres imberbes vont nous livrer le secret de demain ; mais on se trompe. Ce ne sont de tous côtés qu’enquêtes où l’on se penche sur cette jeunesse pour lui demander ce qu’elle pense. Elle ne pense pas encore, ayant eu tant d’autres choses à faire et si peu de temps ! Elle répète, elle reflète. Les novateurs ne se recrutent guère parmi les jouvenceaux. Jean-Jacques avait cinquante ans quand il commença de bouleverser la société et l’âme françaises. Si j’en juge par l’Ombre des statues et par la Maison divisée, le théâtre d’éducation odéonien serait assez bien un théâtre d’éducation anarchiste. C’est une mode d’hier. Ibsen et Tolstoï sont des dieux désuets. Ils restent à nos yeux de grands maîtres ; mais nous avons reconnu que ce sont des maîtres dangereux. La maison où l’on avait recueilli leurs enseignemens n’était pas seulement divisée : elle était ébranlée dans ses fondations ; nous nous en sommes aperçus à temps ; à l’heure qu’il est, nous marquons un temps d’arrêt dans notre allégresse de destruction, car il faut vivre.

M. André Fernet semble avoir des qualités d’homme de théâtre ; il les laissera mûrir ; il attendra que ses idées se précisent ; il surveillera son style qui n’est pas toujours correct ; et ce sera très bien.

M. Desjardins prête au personnage du comte de Berg sa belle prestance et sa voix chaude ; Mlle Ventura est une Catherine Helmer très émouvante.


C’est une assez singulière entreprise d’avoir mis à la scène une pièce dont il est à peu près impossible de rendre compte en termes honnêtes. Chacun sait que La Fontaine dans son Conte de la Mandragore a imité la comédie de Machiavel qui porte ce même titre. Mais c’est chez lui que « l’imitation n’est pas un esclavage. » Avec cet art délicat, nuancé, raffiné que M. Émile Faguet a si parfaitement analysé dans ses récentes leçons sur notre fablier national, La Fontaine a, non pas imité, mais adapté, arrangé, abrégé l’original italien. Il a glissé où son modèle appuyait, et sous-entendu partout où l’italien développe et