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rendre odieux en le montrant inaccessible à la pitié. Il a pour le jeune anarchiste des yeux qui ne sont pas les nôtres. En voilà un qui n’a eu que ce qu’il mérite. Tout le monde pouvait se faire tuer par les soldats du comte de Berg, sauf une personne : son fils. Qu’allait-il faire dans cette galère ?

Après ces dramatiques événemens, la pièce est terminée. Le père a tué son fils, le chancelier a donné sa démission ; c’est plus qu’il n’en faut pour un dénouement. Un troisième acte, inutile et surajouté, ne pouvait être que languissant. Cet acte est en outre d’allure indécise, hésitante, de pensée et de forme obscures. L’auteur imagine que le comte de Berg a éprouvé le besoin de rendre visite à sa belle-fille de la main gauche, dans le dessein de reprendre son petit-fils. Nous voici donc chez le pauvre diable : son cadavre est dans l’alcôve... Je ne vous ai pas dit que ce fût une pièce gaie... L’acte, à peu près tout entier, est fait d’une conversation entre le comte de Berg et Catherine. Il y a de la philosophie là-dedans, et même de la métaphysique : il y a de tout ce que l’on voudra, avec beaucoup de nuages autour. J’ai cru comprendre que les deux adversaires se réconcilient dans une compassion mutuelle et une haine commune de l’ordre social. L’entretien, d’abord empreint de quelque aigreur, se poursuit avec cordialité. Le défenseur de l’ordre et l’émeutière découvrent qu’ils sont l’un et l’autre des héros du devoir ; ils n’ont pas la même façon de comprendre le devoir, et voilà tout. Puisqu’on est des deux côtés de la barricade, on peut se tendre la main par-dessus. La société, voilà l’ennemie. « Catherine : Qu’elle tombe, qu’elle s’écroule, la maison qui n’a pu accueillir tous les enfans : qu’elle tombe et que bientôt de ses décombres un homme nouveau se dresse et construise la maison nouvelle ! — Le comte de Berg : La maison que n’ébranlera plus la discorde... — Catherine : La maison unie, solidaire... — Le comte de Berg : La maison dont l’entrée nous est interdite. » Charmant duo ! En attendant, Catherine garde auprès d’elle le petit Franz, pour en faire de la graine d’insurgé ; le comte de Berg reprend sa démission. Nous pourrons repasser dans vingt ans...

La Maison divisée est l’œuvre d’un très jeune homme. Elle a été jouée dans cette série de représentations hors cadre que M. Antoine consacre à des pièces de débutans qui lui ont paru intéressantes. Jadis tout bon rhétoricien avait dans son pupitre une tragédie qu’il était réduit à déclamer devant ses camarades. Qui sait si dans ces productions mort-nées ne figurait pas quelque chef-d’œuvre inconnu ? Il est juste et paternel que l’Odéon, à de certains jours, accueille les jeunes.