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qu’à l’effet de menacer son père et lui mettre le marché à la main. Si le comte de Berg a quelque idée de faire tirer sur les grévistes, qu’il fasse bien attention ! Son fils sera le premier exposé aux balles. Pour toute réponse, le comte de Berg téléphone au préfet de police de mettre le palais en état de défense, et de faire son devoir sans mollesse. Il n’y avait pas autre chose à dire. — Cet acte nous laisse sous une excellente impression ; il est bien conduit, avec simplicité et largeur ; la situation est nettement posée ; les personnages sont dessinés d’un trait sûr. L’auteur est comme son héros : il a de la poigne.

C’est à partir du second acte qu’il s’embarrasse. Nous sommes au palais, à l’heure de la manifestation. Le comte de Berg tient à l’enfant-roi des propos qui plongent le petit monarque dans la stupeur, — et nous pareillement. Il est découragé, il ne croit plus à son œuvre, il conseille la clémence, il offre sa démission. Lui, le chancelier de fer ! Et c’est ce moment qu’il a choisi pour faire de la neurasthénie ! « Défendez-moi, monsieur le chancelier, et tout le reste est littérature, » répond, non sans raison, le gamin royal.

La colonne des émeutiers approche. Le préfet de police et le général commandant la place de Paris n’ont pas d’ordres. Confians dans l’habituelle énergie du ministre, ils attendent de lui les mesures que réclame la situation. Quel n’est pas leur étonnement ! « De la douceur, prescrit le grand chef, et encore de la douceur ! Des barrages anodins, des sommations respectueuses, éminemment respectueuses ! Que pas un cheveu ne tombe de ces têtes précieuses et syndiquées ! » Ils n’y comprennent rien : nous non plus.

Cependant la comtesse de Berg rejoint son mari. Ce n’est guère sa place, et elle perd une belle occasion de rester chez elle. Mais il fallait qu’il y eût là quelqu’un pour supplier et injurier tour à tour le chancelier. Celui-ci ne quitte plus guère le téléphone. De minute en minute, acculé à la nécessité de défendre le palais, il modifie ses premières instructions, se laisse arracher des mesures plus efficaces et finalement ordonne : « Fusillez-moi tous ces gens-là ! » En un clin d’œil, les avenues du palais sont déblayées, la manifestation est refoulée. « Mon fils ? — Mort ! » Le bon petit roi, qui a eu joliment peur, remercie son ministre, le plaint et accepte sa démission. Nous sommes plus royalistes que lui. Nous nous demandons pourquoi l’auteur a prêté au comte de Berg des hésitations coupables et qui risquaient de tout compromettre. Le comte de Berg a failli à son caractère et à son devoir. L’auteur a voulu qu’il eût la main forcée. Il a craint de le