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vingt ans, d’un bon jeune homme de roi, d’un fantôme de roi. Les socialistes lui donnent beaucoup de tablature. Ils en sont à leur trente-sixième manifestation, chacune étant mieux organisée et plus redoutable que la précédente. Pour celle-ci, ils ont trouvé un « clou «  qui fait vraiment honneur à leur ingéniosité. Le comte de Berg apprend que la dernière réunion a été présidée, par qui ? Par son propre fils. Cette nouvelle lui arrache un cri de douleur, mais aussi d’admiration pour des adversaires si avisés. « Bien travaillé, Marguerite ! » ainsi qu’il est dit dans la Tour de Nesle.

Ce fils Berg est un affreux petit drôle, comme les jeux ironiques de la Providence en font quelquefois naître dans les meilleures familles. Ce qui le caractérise, c’est une immense veulerie : à père énergique fils débile. S’étant amouraché de la première femme qu’il a rencontrée, il s’est mis en ménage avec elle et en a eu un enfant. Cette Catherine Helmer, à qui il s’est acoquiné, est une anarchiste militante : elle a présenté le pauvre garçon dans les milieux révolutionnaires, et en a fait un pantin que manœuvrent à leur gré les meneurs du parti. Donner pour chef aux émeutiers le fils du ministre de l’Intérieur, évidemment c’est de bel ouvrage. Tout autre que le jeune de Berg aurait senti le cœur lui lever devant l’odieuse besogne de chantage à laquelle on le fait servir. Lui se pose en victime. C’était une âme tendre et son père n’a pas su le comprendre : vous l’auriez juré. Sa mère et lui ont bien souffert de cet excès de délicatesse qu’il leur a fallu refouler. La scène où la comtesse de Berg plaide, sur un ton de fâcheuse sensiblerie, la cause de sa progéniture dévoyée, achève de nous rendre l’infortuné père grandement sympathique.

Sur ces entrefaites, on introduit une délégation de la C. G. T. Le fils Berg est, bien entendu, l’un des délégués. Une conversation s’engage, d’un caractère presque entièrement théorique, ce qui lui enlève toute vraisemblance ; mais il fallait exposer les deux thèses : l’auteur a fait de cet exposé de doctrines la partie centrale, le morceau essentiel de l’acte. Commencée en manière de dissertation politico-sociale entre le représentant de l’autorité et les grévistes, la conversation s’achève en discussion de famille entre le père et le fils. « Tu as trahi le pacte de service qui, depuis tant de générations, unissait notre maison à la maison royale, » dit le comte de Berg. Et Berg le gréviste riposte : « Je ne veux pas être le prisonnier du passé. Ma vie m’appartient : je dois la remplir d’œuvres choisies par moi seul. » C’est la thèse individualiste en présence de la thèse traditionaliste. Seulement, il ne s’agit pas cette fois d’un débat académique. Ce bon fils n’est venu