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domine son œuvre. Un homme qui, résolument, est sorti du doute de lui-même pour servir son pays et qui, avec toutes ses facultés, toute son énergie et tout son cœur, au milieu des crises les plus angoissantes, des tourmens les plus agités, des souffrances morales les plus aiguës, a patiemment, inlassablement travaillé pour son œuvre, a le droit de parler de ses convictions, sans être suspect de sectarisme ou d’orgueil. Il appartient à Albert Sorel de conclure en personne. Ces lignes m’ont été écrites de sa main le 24 juillet 1904 :

« Comme j’ai absolument besoin de fixité, qu’il faut un point d’appui au pauvre levier de ma pensée, je me suis, d’instinct, rejeté sur la terre où je suis né, où je dois rentrer, où j’ai enseveli les miens, la nation qui est la récolte et la fleur de la terre, le pays qui a duré, qui dure... Je me suis replié... sur mes racines et je me suis aperçu qu’elles étaient plus profondes, plus étendues, plus fortes que je ne l’avais pensé moi-même. Mon moi, froissé et blessé en sa surface, s’est retrouvé dans le moi d’en dessous, ce moi des racines, par où je suis peuple, pays, par où je me sens collectif, membre d’un grand être en lequel je vis, je me meus, je mourrai, — et j’ai repris sentiment de vivre, je me suis apaisé, je me suis jugé, j’ai trouvé, à mon grand réconfort, que je n’étais pas si différent de moi-même, que rien des idées fondamentales de ma vie n’était ébranlé et qu’à relire mes livres... je n’avais à rougir ni de l’usage que i avais fait de ma raison, ni de l’emploi de ma critique.


ALBERT-EMILE SOREL.