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« Si je puis être utile à quelque chose, me disait mon père le 12 septembre 1899, c’est en écrivant l’histoire : au moins ai-je conscience de ne pas nuire à ma patrie par l’infatuation de mon génie, la superstition de ma raison personnelle, la présomption de moi-même. »

Tout l’homme est là. Sa vie et son œuvre présentent une égale unité.

L’enfant qui, en 1853, quittait sa ville natale, avec un déchirement, dont le souvenir blessait encore l’homme au seuil de la vieillesse, l’enfant timide, ayant la pudeur de ses sentimens, deviendra l’adolescent inquiet, doué d’une imagination fiévreuse, le jeune homme romanesque, poussé par la force des choses dans le monde et dans la vie, où, cependant, avec un superbe dédain, qu’il excellait à ne pas montrer aux autres, il demeurait lui-même, fidèle à sa pensée et fidèle à ses traditions. Elles ne l’emprisonnaient pas : il n’avait jamais considéré que l’on pût se donner soi-même par contrainte. E.-M. de Vogué, qui savait faire entrer les morts dans l’immortalité, le salue de son geste noble et large, qui écarte les nuages sur l’azur du ciel. M. Louis Madelin, dans une belle et douce évocation de sa mémoire, nous l’a dépeint, quelques jours avant sa fin, s’entretenant avec son ami plus jeune, dont il appréciait le cœur et le talent. Albert Sorel projetait d’écrire une histoire de sa province. « L’âme épique de la Normandie eut son tour, — dit Louis Madelin, — après l’esprit un peu chicaneur qui, trente ans, lui avait fait mander à sa table de marbre les tribuns et les maréchaux. » Ainsi, encore, dans la maison familiale de Honfleur, le décrit exquisement M. Maurice Donnay, au cours de son éloge à l’Académie française, ainsi nous le montrent Georges Picot, dans sa belle notice, et M. René Doumic dans sa claire étude publiée par la Revue des Deux Mondes, cependant qu’avec cette force intellectuelle, ce regard de praticien qui sait fouiller les âmes, cette magnifique pénétration qui fait le génie de sa critique, M. Paul Bourget nous a représenté l’historien volontairement retiré derrière « le petit mur de Platon. » Combien il a vu juste dans la pensée, toute en nuances, d’Albert Sorel :

... « Rebelle aux mathématiques et à la métaphysique, imaginatif au delà du bon sens parfois, et réaliste dans ma conception