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devait durer, à mesure que l’historien progressait dans ses recherches. Sorel y revient, constamment, dans ses notes et sa correspondance. Quant aux lectures qui précèdent la première rédaction de son œuvre, elles le mènent de Tocqueville à Taine, en commençant par Guizot :

« Je lis l’Histoire de France de Guizot. C’est M. Guizot tel que je l’ai connu dans ses dernières années, — il y a certes de la fatigue par momens, — mais le souffle est là. Je trouve dans ce livre, où j’ai à parcourir le passé du pays, ces vues élevées et ce grand amour national, pur, noble, éclairé, qui est, Dieu merci, encore au fond du cœur d’un grand nombre de Français, mais que nos gouvernans, depuis bientôt un quart de siècle, comprennent si mal et expriment si grossièrement, quand ils ne le dénaturent pas.

« J’avais besoin, pour l’introduction du grand ouvrage que je prépare, de rassembler les grandes traditions nationales, j’en trouve là les élémens. »

Tocqueville, bientôt, devait l’édifier et Quinet l’instruire :

« L’idée générale de Tocqueville, une des très rares découvertes que l’on ait faites en histoire, que la Révolution ne sort pas seulement de l’ancien régime, mais en procède, la vue de Quinet que les légistes du Roi se suivirent dans les légistes des assemblées révolutionnaires... n’avaient fait jusque-là que glisser sur mon esprit. Elles s’y confirmèrent à mesure que je touchai de plus près les événemens. L’incohérence, les. disproportions dans l’histoire des rapports de la France et de l’Europe, me frappèrent comme une sorte de monstre historique, une série d’effets sans causes et de causes énormes qui demeuraient sans effets. La Constituante, la Convention, le Directoire, le Consulat, l’Empire, m’apparurent non comme les parties d’un tout liées entre elles et gravitant selon les mêmes lois, sous la même impulsion, mais comme autant de comètes errantes et de mondes détraqués s’écroulant dans les espaces. Les hommes mêmes se découpaient en tranches et se dissociaient étrangement ; les larmoyans et sensibles devenus terroristes et les terroristes passés préfets ; les cosmopolites tournés à la conquête, et le plus grand enfin, rompu en plus de morceaux que les autres, si bien qu’on ne pouvait ni les reconnaître, ni les rassembler ; le Corse aux cheveux plats de 1796, le consul maigre en habit rouge, coiffé à la Titus, le César nerveux du Sacre, le Dioclétien