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pays, par-dessus tout, et je comprends que vous aimiez, que vous devez aimer le vôtre de même.

« Or, cette idée, qui s’est éclaircie chez moi après la guerre et m’a dirigé, est précisément le côté humain, généreux de mon histoire, — elle y tempère et adoucit la raison d’Etat, — elle est un horizon ; — mais elle est essentiellement réaliste, et l’antipode du cosmopolitisme. C’est par le respect réciproque du sentiment national, c’est par l’amour de chaque peuple pour « sa patrie, » que tout peuple peut arriver à comprendre, et, par suite, à respecter la patrie d’autrui ; — or c’est l’antipode du galimatias intellectuel, de l’idéalisme paradoxal, du gâchis politique qu’on appelle cosmopolitisme,— qui est une bêtise, une aberration, quand il n’est pas une hypocrisie. »


Toutefois, avant de concevoir son œuvre, Albert Sorel avait encore besoin d’une expérience. On n’est pas impunément le spectateur d’événemens aussi graves que ceux dont il avait été le témoin et l’on ne s’adresse pas en vain à un auditoire jeune et vibrant. Quoiqu’il en eut, Albert Sorel ne pouvait pas rester impassible : la science devait maîtriser l’homme d’action, comme l’histoire avait absorbé le romancier.

L’Histoire de la Guerre franco-allemande est l’expression émue, sincère de son état d’esprit, — la moins officielle, la plus librement conçue et écrite qui soit. Ce sera comme le seul et dernier appel de l’homme d’action qu’il aurait pu et qu’il n’avait pas voulu devenir.

Au lendemain, même, de son premier cours, il trouvait la formule de sa pensée : « Expliquer en histoire... instruire en politique. » La guerre n’était pas terminée, qu’Albert Sorel songeait déjà à ce livre de « pathologie sociale. » L’idée s’en précise, à mesure qu’il se trouve mêlé de plus près à la vie extérieure. Dès le 16 avril 1872, il déclare à Eynaud : « Il sera facile de montrer comment l’Empire a été entraîné à la guerre de 1870... Il avait tous les moyens de se convaincre que cette guerre... mal engagée, devait aboutir à des conséquences désastreuses. »

Il ne cherche nullement à modifier l’opinion de ceux qui jugèrent le livre avec les passions personnelles que soulevait un problème d’une telle actualité : l’auteur le présentait avec les