Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 14.djvu/415

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il mourut, en 1906, titulaire d’une fonction très modeste et chevalier de la Légion d’honneur.

La guerre avait donné l’éveil à Sorel ; la paix signée, il eut l’impression de sortir d’un rêve héroïque pour rentrer dans la banalité courante. Il n’aurait, — pour aucun avantage du monde, — quitté son poste à Tours et à Bordeaux. L’idée de reprendre le chemin des bureaux à Versailles l’exaspérait. Son courage l’abandonnait avec l’inaction : le contraste entre cette année de combats et cette « morte-eau » administrative était trop paradoxal et, une fois encore, peut-être, la mélancolie normande de l’écrivain menaçait de l’absorber.


Il reprend, corrige, écrit de nouveau la Grande Falaise ; pourtant, la critique, la philosophie, et peut-être l’histoire, commencent à le séduire... « Je caresse pour l’avenir, — écrit-il à Eynaud le 20 mars 1871, — après quelques années de voyage, d’études et d’apprentissage, l’esprit mûri et rempli, ayant donné ma mesure par deux ou trois volumes, un peu connu déjà, de monter quelque part dans une petite chaire de critique morale où je ferai l’anatomie des caractères de ce temps et porterai ma petite pierre au monument de Marc-Aurèle. »

Dès 1868, dans une lettre datant du 6 mars, Albert Sorel s’exprimait avec une inquiétude croissante sur l’indifférence du public pour les questions extérieures. Il la jugeait néfaste. L’éducation d’un peuple qui veut vivre doit être nationale et ne doit pas se perdre dans les détails de la politique intérieure. C’était l’une des idées dominantes de son enseignement. N’est-ce pas en se voyant utile qu’il s’était débarrassé lui-même d’une analyse déprimante ? N’est-ce pas en voyant la répercussion de nos actes, que nous apprendrons à distinguer ceux qui doivent être retenus de ceux qui passent ? Ce sera l’inspiration même de son professorat. L’expérience qui l’a conduit de l’idéalisme esthétique au réalisme politique, cherche son expression. Sorel est prêt : il attend l’occasion de se produire, et cette occasion, c’est l’Ecole libre des Sciences politiques qui la lui offrira.

Cependant, il avait trop le sentiment de la correction et il avait trop sacrifié de lui-même au ministère, pour le quitter avec désinvolture. Il songeait à prendre du service dans une