Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 14.djvu/414

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tranchant, de ce pénétrant, de ce liant aussi qu’il faut à l’homme d’action. Je vois trop les divers côtés des choses et je me représente trop les divers motifs des hommes... Alors, naturellement, flottant (je n’ose dire planant) de la sorte, j’ai plus d’étendue dans le regard, mais je n’ai point de prises. »

Enfin, sur certain cahier de réflexions, je relève celle-ci, au mot Histoire :

« Les Politiciens. Ils affectent de dédaigner l’histoire : ils ont raison ; elle ne s’occupera pas d’eux. Cependant ils écrivent chacun leurs mémoires et leur ministère de trois jours. Pour qui ? Les historiens auxquels ils ne croient pas et qui n’écrivent, selon eux, que par préjugé l’histoire, à laquelle ils croient moins encore et qui n’est que fantôme et poussière. C’est comme la justice, dont aussi ils parlent toujours. Cour d’appel d’un procès qu’ils plaident sans conviction en première instance. »


En revanche, il éprouve le besoin de voir, de ressentir par sa propre expérience les émotions de la guerre. Il est essentiellement réaliste ; l’imagination n’existe plus qu’à l’état latent ; il l’a matée : il vit l’histoire, avant de l’écrire.

A Bordeaux, il s’était lié avec Théophile Funck-Brentano ; ce jeune médecin luxembourgeois, qui avait l’allure hautaine d’un gentilhomme de cape et d’épée et l’âme classique d’un philosophe du XVIIe siècle, était venu, spontanément, mettre sa science au service de la France ; brave, sur les champs de bataille, jusqu’au paradoxe, comme il devait l’être dans l’attaque contre les sophistes allemands, il entraîna Sorel dans les discussions ardentes du droit des gens et collabora avec lui pour un volume qui parut d’une singulière audace, alors ; Funck l’avait inspiré, Sorel rédigé. Il entraîne, de même, son ami au milieu des balles, à Rueil, Bougival et Chatillon : « Je pourrai écrire sur l’armée avec moins de scrupules, » déclare le nouvel initié à Eynaud. Ces excursions lui valurent le diplôme de la Société française de secours aux blessés en souvenir de « son courageux dévouement sur le champ de bataille de Châtillon. » Mais Funck, qui exposait quotidiennement sa vie, sans compter, fut jugé digne d’une plus haute récompense. Comme on l’interrogeait sur ses désirs, il répondit qu’il voulait être Français. Mon père considéra comme un honneur de rédiger l’exposé des motifs du décret, qui accordait à Th. Funck-Brentano les lettres de grande naturalisation.