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le ministère. Je ne disposais ni de tout mon temps, ni de tous mes moyens. »

Tel était, nous racontent ses Mémoires, son état d’esprit en mai 1870.

Quelques mois plus tard, la même année, survint l’épisode qui devait l’édifier définitivement sur ses idées :

« Le 4 septembre au soir, j’allai voir d’Almeida. Je lui dis : — Je crois que je puis être bon à quelque chose... Que l’on m’emploie à la moindre chose, c’est une affaire de patriotisme, je suis prêt à faire pour cela tout ce qu’on voudra. — Il écrivit un mot à Picard, faisant valoir ma connaissance de l’Allemagne.

« Le 5 au matin, je vis Hetzel, — Sorel lui avait été présenté antérieurement par d’Almeida. — Il me dit : « Que devenez-vous ? — Je ferai ce qu’on voudra, mais ce n’est pas pour moi le moment de quitter le ministère. »

« — Voulez-vous une lettre pour Jules Favre ? »

« Je le remerciai. Il écrivit aussitôt une lettre très flatteuse pour moi... Il me recommanda de voir Favre.

« Je gardai la lettre deux jours dans ma poche. Je la remis le 7 à un secrétaire de Favre, que je ne vis point et que je n’ai jamais vu.

« Le 8, je fus nommé attaché payé. »


Désormais, les événemens forment la pensée d’Albert Sorel ; ils le prendront, l’accapareront, l’obligeront à sortir de lui-même. Comme la plupart des écrivains normands, Sorel souffrait de l’impossibilité où il se trouvait de livrer le fond intime de son esprit. Il en avait la pudeur. Jamais, — m’avoua-t-il, — jamais il ne réussit à écrire une pièce de vers, qui exprimât ses sentimens. Avec cela, il épiloguait ses passions, se perdait en analyses subtiles, doutait de lui-même, maladivement ; il ne parvenait pas à réaliser une œuvre subjective, et c’est pourquoi, la guerre détournant ses regards du paysage intérieur, le rendit objectif, le jeta dans l’histoire, en le forçant à parler des autres hommes, dans le passé, — ce qui est, pour certains caractères, la seule façon de parler de soi, dans le présent. Albert Sorel était musicien ; il savait l’art de transposer.

A Tours, puis à Bordeaux, il connut la joie de « servira quelque chose. » Toutefois, si. active que fût son existence, si