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dans ses chers manuscrits. C’est alors qu’on lui proposa une nouvelle collaboration à l’Annuaire de 1868, sur la campagne de 1866. Elle était anonyme. L’étude tomba sous les yeux de Buloz, qui la publia dans la Revue des Deux Mondes.

« Mon article a réussi, autant, mieux même que je ne pou- vais l’espérer, écrit Sorel à son père, le 22 octobre 1868. On l’a attribué, bien entendu, dans beaucoup de journaux, au Duc d’Aumale, — comme tout ce qui n’est pas signé dans la Revue. — Au ministère, tous les gens auxquels je tiens m’ont fait des complimens. Enfin, le chef de cabinet du ministre, M. de Saint-Vallier, près duquel j’avais été envoyé et qui ne m’avait jamais parlé, — m’a dit à peu près ceci : « Je vous fais compliment de votre article. Je l’ai lu avec beaucoup d’intérêt. C’est un des exposés les plus exacts, les plus complets de la question ; du reste, vous avez eu le suffrage du meilleur juge : M. Buloz. » Je t’écris cela, mon cher père, non pour me faire valoir à tes yeux, mais comme tu m’as permis toujours de travailler comme je voulais, je suis heureux quand je peux te faire voir que je n’ai pas perdu mon temps. »

Cependant, — avec fort peu de déférence pour un travail aussi grave, — Albert Sorel avait écrit à Eynaud, le 4 septembre, que l’Annuaire l’importunait fort ; il le comparait, même, à une « tuile » et ne cessait de se plaindre du peu de temps qui lui restait pour ses loisirs. Il ne vit, au fond, dans son succès, qu’un moyen de donner des œuvres d’imagination à la Revue des Deux Mondes. Si elle ne fut pas hospitalière au romancier et s’il en retira quelque amertume, ces échecs semblent presque justifiés, à distance. Buloz avait discerné la vocation de l’historien, encore confuse, certes, puisque très inconsciente. Elle se manifestait déjà, par les dons d’exposition, de clarté, par le sens des rapprochemens et, si le jeune diplomate se plaignait d’être confiné dans les études sur l’Allemagne, si toute spécialisation lui répugnait, ces travaux l’initiaient cependant à la méthode, à la critique sur les documens vivans.

Néanmoins, il se trouve mal à l’aise au ministère ; il médite de le quitter « en achevant l’expérience consciencieusement. » Il cède au découragement ;

« J’étais absolument seul à travailler, je n’avais personne à qui me confier, personne pour m’aider. La plupart de mes efforts devaient tourner contre moi-même, en m’engageant plus avec