Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 14.djvu/409

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

administratives, » qui lui ôtent de sa liberté. L’Annuaire n’intéresse que l’homme de lettres : « ce fut la clef de la Revue pour moi, une porte ouverte sur la littérature. » Telle restera, pendant quatre années, son opinion : le ministère n’est « qu’un moyen » qui lui permet de travailler à ses romans. Toutefois, ses instans sont comptés ; il ne dispose que de deux heures et demie par jour pour ses lectures et ses écrits ; il prend sur ses nuits, sur ses promenades ; il est exaspéré. Mais, déjà, ses idées se forment par l’observation de l’esprit public et des événemens ; il déclare que, quoi qu’il fasse, il « l’étudie à fond. » Déjà, il applique à son roman, — la Grande Falaise, — qu’il compose à cette époque, les procédés qu’il apportera plus tard à l’histoire ; il se documente sur ses personnages ; il crée les archives de son imagination.

Encore qu’il ne montre aucun empressement, on le distingue pour ses qualités.

« Je passais pour un aigle et pour un modèle, parce que je n’étais pas tout à fait ignorant, ni tout à fait flâneur. En outre, je suis naturellement bon élève ; tout en détestant le collège, et ce qui y ressemble ; justement à cause de cela, je suis régulier et respectueux, pour être débarrassé des discussions, blâmes, etc. Mais je déteste au fond la règle et les pions. »

On voyait en lui un « rédacteur de l’avenir. »

« Je mettais de la conscience à montrer ce que j’étais, — sans dire le fond de la pensée, — que je cachais à moi-même, et que je n’aurais pu du reste indiquer sans paraître fourbe, paradoxal et timbré. »

Il s’amusait à plaisanter, « bavarder, » discuter à perte de vue. Les camarades qu’il rencontrait, alors, recherchaient ses entretiens et le voyaient passionné de politique et de littérature. ; D’aucuns, avec une extrême finesse, devinèrent sa pensée, tel M. Armand Nisard et tel M. Frédéric Masson, dont Albert Sorel fut heureux d’être le parrain à l’Académie Française et dont le jugement sur son œuvre fut l’un des plus précieux à l’esprit du savant, comme au cœur de l’ami. Ils se réunissaient souvent, s’expliquaient avec une belle franchise ; ils étaient incapables de dissimuler les idées, blâmes ou éloges, ni les sentimens qu’inspire la confiance mutuelle.

Cependant, Albert Sorel, en quittant le ministère, se hâtait vers son petit appartement, rue de l’Université, afin de se plonger