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L’école d’hier était admirablement comprise, elle était réellement ce qu’elle devait être. Les jeunes gens arrivaient à bord d’un vaisseau semblable à tous les vaisseaux de guerre de l’époque, ils y vivaient dans le même décor, de la même vie que les marins, employant dans leurs exercices le matériel usité dans toute la marine. Le Borda était mouillé au milieu de l’immense rade de Brest, exposé au vent et à la mer, évitant au gré du courant. Les élèves respiraient à pleins poumons l’air salin, montaient à tout instant dans la mâture, larguaient et serraient les voiles, puis, par tous les temps, armaient les embarcations, manœuvraient les bâtimens annexes analogues à ceux dont ils furent plus tard les officiers ; ils vivaient à la mer dans la marine de leur temps. L’Ecole était, du reste, soigneusement organisée, nous pouvions la montrer avec orgueil aux visiteurs étrangers.

L’Ecole Navale cependant n’a pas pu suivre la vertigineuse évolution de la marine moderne, le cadre qui l’enfermait l’en a empêchée. Sur ce vaisseau de bois, devenu simple caserne, la vie ne peut être celle des marins actuels. La vapeur, l’électricité ont succédé au vent pour nous donner la force, et les élèves ne s’accoutument pas, dans un contact permanent, à les comprendre et à les asservir. L’enseignement n’a pas pu réaliser les progrès obtenus ailleurs. La science, en effet, pour se mieux adapter à sa destination, s’est vulgarisée, son utilité apparaît de plus en plus comme liée étroitement à ses applications ; on admet avec raison, aujourd’hui, que l’exposé de théories n’est réellement efficace que s’il est accompagné de travaux pratiques appropriés et fréquens ; on donne ainsi aux esprits un aliment plus substantiel qu’autrefois, on les aide à vaincre par un intérêt tangible, leur paresse ou leur tendance à se distraire d’une étude trop attentive. Dans ce dessein, toutefois, il faut des appareils de toutes sortes, des instrumens, des machines, des ateliers, des salles de modèles, de manipulation, de larges espaces en un mot, impossibles à trouver sur un navire, quelque grand qu’il soit !

Dans l’impossibilité actuelle de donner à l’enseignement moderne de sciences appliquées l’ampleur et les moyens d’action indispensables, la science purement théorique a pris à l’École Navale un développement exagéré... A défaut de surface, elle a grandi en hauteur. Certains esprits n’étaient, du reste,