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Comme dans Bagehot, il y a dans Burke bien des choses qui semblent s’appliquer à M. Wilson. Il cite à plusieurs reprises ces deux passages du grand Irlandais : « Un gouvernement libre est, en pratique, ce que le peuple considère comme tel. La liberté abstraite, comme toutes les abstractions, n’existe pas ; la liberté est unie à quelque chose de sensible, de palpable. » A quoi M. Wilson ajoute : « Ces phrases, tirées des ouvrages de Burke sur ce qui concerne l’Amérique, pourraient aussi servir de devise à l’esprit pratique de notre race concernant les questions gouvernementales. A mon avis, dit encore Burke, le droit est une des plus belles et des plus nobles de nos sciences humaines, et une science qui fait plus pour raviver et fortifier notre compréhension que toutes les autres sciences réunies ; mais, à l’exception de personnes supérieurement douées, elle n’ouvre pas et n’élargit pas l’esprit dans les mêmes proportions. » Bien que Burke ait eu une intelligence « supérieurement douée, » il trouvait que la vie d’avocat restreignait d’une façon fâcheuse son esprit d’initiative. Il apprit le droit comme il s’appliquait à d’autres études, avec la pensée constante que le droit fait partie de la structure de la société humaine.


Il n’y a pas d’écrivain anglais, écrit encore M. Wilson, plus philosophe que Burke ; il supporte impatiemment les abstractions dans les raisonnemens politiques, tant il est attaché à toutes choses pratiques et à tout ce qui doit être fait par des hommes d’intelligence... Burke était toujours opposé aux idées abstraites en fait de politique, car il sentait que les questions gouvernementales sont aussi des questions morales et qu’elles ne peuvent pas être toujours résolues par les règles de la logique : elles subissent toutes les fluctuations des circonstances et de la vie... Burke insista énergiquement pour obtenir des réformes radicales dans l’administration ; mais, en même temps, il opposa une égale énergie contre tout ce qui aurait pu atteindre les bases de la Constitution ; il tenait à conserver les partis, car il les croyait d’une absolue nécessité pour un bon ordre social.


Nous empruntons cette dernière citation à un essai sur Burke intitulé : L’Interprète de la Liberté Anglaise, qui parut en 1896 dans Mere Literature. Quatorze ans plus tard, la candidature de M. Wilson au poste de gouverneur de l’État de New Jersey avait été préparée un soir dans un des salons du Lawyers’ Club de New-York par quelques démocrates influens. Un d’eux posa cette question à M. Wilson : « Êtes-vous d’avis qu’un gouverneur doit refuser de prendre en considération les demandes de son parti ? » « Pas du tout, » lui répondit-il vivement ; « j’ai