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mais dans sa nation de prédilection, l’Angleterre. Bagehot conclut toutefois en disant, et son observation s’applique fort bien à M. Wilson lui-même, que le politicien pratique et habile doit discerner dans le publiciste l’homme qui, bien qu’à l’écart de la politique, en comprend les conditions au milieu desquelles il se débat personnellement, et a c’est, dit-il, l’avis de cet homme qu’il devra chercher. »

Ce que conseille ici Bagehot, le parti démocrate l’a fait à deux reprises différentes au sujet de M. Wilson : la première fois en le nommant gouverneur de l’État de New Jersey, la seconde en le portant à la présidence.

« Ses études universitaires terminées, dit M. Wilson en parlant de Bagehot, il fit ce qu’ont fait avant lui des milliers d’étudians, il étudia le droit ; puis, ayant décidé d’être homme de loi, il suivit l’exemple de quantités de jeunes gens et abandonna son intention. » Si ce fut le cas de Bagehot, ce fut aussi celui de M. Wilson. En écrivant la biographie de son modèle, il semble souvent écrire la sienne. Ecoutons-le.


Ses jugemens politiques étaient, dit-il, d’autant plus sûrs que son esprit embrassait clairement toutes les sphères de l’activité humaine… Chez lui, la connaissance de la politique procède de sa connaissance de l’homme… Pour comprendre des institutions, il faut en effet comprendre les hommes ; il faut être capable de sentir une histoire, d’apprécier des caractères totalement différens du vôtre, sonder la société jusque dans son tréfonds et en soupeser les idées, grandes et petites. Un homme doué de la pénétration d’un Chaucer pour lire dans le cœur humain, un homme versé dans la littérature, cet héritage des grands penseurs, aurait notre confiance et nous viendrions le consulter, si ce n’est sur des questions de politique courante, du moins sur les rapports des hommes entre eux dans notre société. Ce serait un critique profond, qui jugerait les institutions à travers l’homme, et c’est là la seule façon d’en juger.


En décrivant l’ « imagination réaliste » de Bagehot, M. Wilson se décrit lui-même tel qu’il est aujourd’hui.


C’est, dit-il, une imagination de caractère pratique très personnel. Ce n’est pas une imagination qui crée, mais une imagination qui conçoit ; non pas l’imagination de l’irréel, mais l’imagination de la compréhension. L’imagination qui conçoit peut être divisée en deux catégories : celle qui nous guide et nous éclaire à la façon d’une lampe, et celle qui nous excite comme le ferait un irritant ou un courant électrique.


M. Wilson classe l’imagination de Bagehot dans cette dernière