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L’intérêt qu’il porte à Bagehot se manifeste ailleurs d’une façon assez curieuse. Dans son second volume d’Essais, s’en trouve un intitulé : « A Literary Politician » et ce politicien littéraire est M. Bagehot. Cette même appellation ne manqua pas d’être appliquée à M. Wilson lui-même, lorsque, quittant les paisibles ombrages académiques, il se jeta dans l’arène turbulente de la politique américaine. Le fait est assez piquant lorsqu’on se souvient que cet essai fut écrit vers 1890, quinze ans environ avant que l’auteur fit cette sortie imprévue et à laquelle il était alors si éloigné de s’attendre lui-même.

Le titre de « politicien littéraire, » écrit-il, « n’est pas un passeport pour celui auquel on le donne, et, peut-être, devrais-je en présenter une justification, dans la crainte que l’homme ainsi désigné ne refusât de l’accepter. » Par cette appellation il n’entend pas un politicien qui aime la littérature, ni un homme de lettres qui aime la politique et qui, tout en écrivant des livres à succès, essuie toujours des échecs aux urnes électorales. Un politicien littéraire est, pour M. Wilson, un « homme qui a le génie des affaires et qui a eu l’intelligence de ne pas s’en mêler ; un homme qui, en raison de certaines qualités d’esprit, d’intuition et d’imagination, lit dans la politique comme dans un livre ouvert, mais qui a eu la sagesse de lire les pages aux autres plutôt que d’y glisser son propre caractère. En un mot, c’est un homme qui connaît la politique et ne la pratique pas. »

Toujours sur ce même sujet d’un politicien littéraire, M. Wilson admet qu’il y a aux États-Unis, surtout aux États-Unis, « une incrédulité marquée sur l’existence d’un tel personnage. » Un homme du métier, en effet, c(peut citer une foule d’exemples sur le danger qu’il y aurait à se confier au jugement politique d’un homme qui n’aurait point été élevé dans ce milieu si rusé et changeant. » Les exemples abondent, dit-il, de publicistes éminens qui n’ont été que de médiocres politiques ; il cite à ce propos « les essais remarquables de feu M. Matthew Arnold sur la politique parlementaire et la question irlandaise ; » la conviction de Macaulay qui « s’imaginait que le monde avait été créé selon les idées whigs, » ou les idées de Gibbon qui, (c s’il n’était pas resté en silence sur son banc, aurait probablement glacé avec quelques paroles seulement toute la Chambre des Communes. » Écrire et agir sont choses différentes. Notons que ces exemples, M. Wilson ne les prend pas dans sa patrie,