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lois de la vie aient été renversées ? Allons donc ! Par conséquent, ne t’inquiète pas ; accomplis ton œuvre avec foi et conscience, sans présumer trop d’elle, sans t’offenser trop des désillusions qui te poursuivent, sans te retourner trop souvent en arrière. Attends. Un jour ou l’autre, l’acte de volonté limitateur éclatera soudain. D’où viendra-t-il ? Mais savons-nous d’où est venue l’impulsion qui fait mouvoir les astres sur la courbe de leurs orbites ? Il éclatera cet acte de volonté, et il imposera une borne aux convoitises des hommes et à la production effrénée de la richesse, en les limitant par de nouvelles mesures artistiques et morales…

Le mouvement et l’agitation augmentaient sur le pont. J’entendis la belle Génoise qui, dans un groupe, publiait d’un air de mépris :

— Savez-vous le pourboire qu’elle a donné ? Deux cents francs ! Hélas ! la légende de Mme Feldmann avait été bien éphémère ! Sur ces entrefaites Alverighi parut.

— Brr ! fit-il en soufflant. Comme on respire mal dans la Méditerranée ! Dès qu’on est sorti de l’Atlantique, ça sent le renfermé et le moisi.

Puis il m’indiqua dans le lointain les collines de la Ligurie et leurs petites maisons.

— Quand on pense, dit-il, que chacun des misérables qui végètent là-bas, sur ces côtes pierreuses, pourrait devenir millionnaire s’il émigrait en Argentine ! L’Europe est peuplée d’imbéciles !

Je lui répondis en riant qu’après tout il ne serait pas déjà si désirable que tout le monde devint millionnaire : car, alors, qui nous cirerait nos chaussures ? Mais il ne prit point garde à mon observation et me dit :

— Depuis quinze jours, Ferrero, nous nous entretenons de choses inutiles. Vous plaît-il qu’à présent nous échangions quelques propos sérieux ? Si vous voulez que vos enfans soient un jour millionnaires, achetez des terrains, soit dans la province de Mendoza, où Vasquez et moi nous avons les nôtres, soit dans la province de Cordova…

Et, après m’avoir expliqué diverses spéculations à faire :

— Achetez, achetez ! conclut-il. C’est le bon moment Ensuite, vous n’aurez plus à vous occuper fie rien : la fortune vous viendra pendant que vous dormirez.

Puis, comme je lui avais répondu que je ne m’en souciais guère :