Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 14.djvu/334

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

longtemps du moins qu’elle sait s’imposer des limites. En faisant la Révolution, la France a asséné le coup de grâce à la civilisation limitée de nos pères. Ce coup, elle l’a asséné, non pas intentionnellement, c’est vrai, mais en songeant et en visant à autre chose ; et c’est pour cela que, depuis, elle a continué d’aspirer et que, seule peut-être au monde, elle aspire encore à produire l’excellent, à valoir et à se faire valoir par la qualité plus que par la quantité. Mais l’excellent ne peut se multiplier aussi vite, aussi facilement et dans une aussi large mesure que le médiocre et le mauvais. Et alors voilà le peuple qui n’a pas tremblé devant l’Europe en armes, qui a osé défier Dieu et installer sur son trône la Raison, le voilà, ce peuple, qui hésite, qui s’inquiète, qui prend peur devant les chiffres grossissans lus dans les statistiques de ses voisins ; et il ne sait plus s’il est en décadence ou s’il marche à la tête des nations ; et tantôt il est fier de lui-même, tantôt il se décourage, a le sentiment d’être seul, se demande : « Que faire ? Résister à outrance contre l’universel triomphe de la quantité ? Ou abandonner entièrement l’ancienne tradition et s’américaniser comme les autres ?... » Lorsque je viens à Paris, dans mes courses solitaires à travers le monde, souvent, au coucher du soleil, je remonte par l’avenue des Champs-Elysées vers l’Arc de Triomphe. Tous comme moi, je pense, vous conservez, indélébile dans votre mémoire, l’image de cette heure crépusculaire... Moi, je me sens tout petit sur une immense route de l’histoire et du monde, et il me semble que les hommes qui passent à côté de moi y sont venus de toutes les parties de la Terre pour y chercher leurs destins. Mais sais-tu ce que je ne puis m’empêcher de penser, au milieu de ce rapide et infatigable cours d’élégances mouvantes et fulgurantes, dernier reste de beauté à notre grossière époque du Feu ? Je pense aux statistiques de la production du fer en Allemagne 1 Un million et demi de tonnes en 1870 ; deux mil- lions en 1875 ; trois en 1880 ; près de cinq en 1890 ; huit et demi en 1900 ; onze en 1905 ; près de quinze en 1910 !... Mes amis, croyez-moi : c’est depuis le jour où Apollon prononça son discours dans l’Olympe, qu’a commencé entre lui et Vulcain la guerre qui aujourd’hui est déchaînée dans le monde entier. Qui l’emportera ? Le fer est incontestablement un métal précieux : on en fait des chemins de fer et des machines ; on en fait des canons, des fusils, des cuirassés. Mais encombrer de fer