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ne s’efforcent de comprendre, d’imiter, de s’approprier, depuis les tableaux italiens jusqu’aux céramiques japonaises, depuis les écuries anglaises jusqu’aux modes parisiennes, depuis l’opéra allemand jusqu’à toutes les architectures du monde, depuis ton Histoire romaine, Ferrero, jusqu’aux Universités de chez nous, depuis le védantisme jusqu’au socialisme, depuis le spiritisme jusqu’au sionisme, depuis l’intellectualité jusqu’au snobisme. Il n’est pas de pays sur terre où les classes moyennes dépensent plus d’argent et fassent autant de dettes et de sacrifices pour imiter les modes et le luxe des riches. Les États-Unis sont la terre classique du snobisme. Et pourquoi ? Que cherche, en somme, l’Amérique dans les idées mystiques, dans les doctrines philosophiques, dans les institutions, dans les coutumes, dans les élégances de tout l’univers, et jusque dans la Christian Science, Dieu lui pardonne ! Que cherche M. Feldmann dans les boutiques des antiquaires d’Europe, et, avec lui, la foule des riches Américains qui ont tant fait renchérir les antiquailles du vieux monde ? Un étalon de mesure ! La quantité seule ne suffit points parce qu’elle aboutit vite à la satiété ; parce qu’une civilisation n’est qu’un système d’étalons de mesure ; parce que cette immense richesse, produite avec tant de rapidité, il faut la traduire en qualité, c’est-à-dire en beauté, en vertu, en sagesse, en gloire, en grandeur : sans quoi, nous l’avons dit, il était inutile de la produire. Mais ce qui manque là-bas, c’est le point d’appui ; ce qui manque, c’est le temps et le calme : il y a trop de modèles. Et ce qui manque aussi, c’est la discrétion et le discernement qui sont, nous l’avons vu, les conditions du progrès artistique. Bref, ce qui manque, ce sont les limites et par conséquent les critériums qui dirigeraient le choix ; c’est l’acte de la « volonté grande, » la force qui impose les modèles. Il n’y a donc pas et, tant que le Feu sera le seul Dieu, il ne pourra y avoir ni tradition, ni discipline, ni continuité sereine dans l’effort, dans la jouissance, dans l’admiration ; mais en tout, en art comme en politique, pour la science comme pour la religion, il n’y a et il n’y aura que des surexcitations passagères, sortes de lièvres violentes et fugaces, comme celles de M. Feldmann qui irritaient si fort sa femme. En un mot, la quantité s’efforce vainement de se traduire en qualité. Franchissons maintenant l’Océan, et nous verrons la qualité qui résiste pour ne pas se résoudre tout entière en quantité, aussi