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ENTRE LES DEUX MONDES[1]

DERNIÈRE PARTIE[2]


XXI

— Vous rappelez-vous, reprit Rosetti, comment, l’autre soir, en discutant sur le progrès, j’ai comparé les États-Unis et la France ? Je veux les comparer de nouveau, mais sérieusement, cette fois, comme les deux grands pays qui représentent le mieux les deux formes opposées de ce conflit entre la quantité et la qualité, tourment des deux mondes. Aux États-Unis , nous voyons, si j’ose dire, les saturnales de la quantité. La machine a bien montré, là-bas, tout ce qu’elle pouvait ! Feuilletez les statistiques américaines des cinquante dernières années ; confrontez, pour ce qui concerne le nombre des habitans, les kilomètres de voies ferrées, la production de l’or, du fer, du cuivre, de l’argent, du charbon, du pétrole, du coton, des céréales, des articles manufacturés, les chiffres d’il y a cinquante ans et ceux d’aujourd’hui ; et vous resterez bouche béante. A-t-on jamais vu un peuple monter ainsi quatre à quatre les degrés de la fortune ? Et pourtant, et pourtant... Mais pourquoi répète-t-on sans cesse, en Europe, que les Américains ne pensent qu’à gagner de l’argent ? Pas un jour ne se passe, au contraire, sans qu’ils tentent de créer quelque religion nouvelle ou quelque nouvelle institution de charité ; et il n’est pas de modèle d’art, d’élégance et de culture, ancien ou moderne, européen ou asiatique, qu’ils

  1. Copyright by G. Ferrero, 1913.
  2. Voyez la Revue du 1er mars.