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dans une lettre à son frère Joseph s’est exprimé durement à propos des embarras où Mme de Staël laissait son mari. Il ne savait pas que M. Necker était intervenu à deux reprises pour régler les affaires de son gendre, et que, s’il avait cru devoir, en 1800, provoquer une séparation de biens, il ne s’était cependant pas désintéressé de la situation de M. de Staël ; il continuait à négocier, tant avec lui-même qu’avec ses créanciers, des arrangemens dont la conclusion ne laissait pas d’être difficile. Sur les entrefaites, M. de Staël fut frappé d’une attaque d’apoplexie, qui le mit hors d’état de s’occuper de ses affaires. Émue de cette situation, Mme de Staël se rapprocha de lui. N’écoutant que son cœur, elle voulait se charger elle-même du règlement des affaires avec les créanciers et, pour soustraire M. de Staël à cette situation pénible, le ramener à Coppet. M. Necker se montra d’abord peu favorable à ce projet. Le 9 avril, il écrivait à sa fille :

As-tu pensé, en examinant l’idée d’amener ici M. de Staël, que tu renforces ainsi tes liens hors de Paris ? Tu craignais qu’on ne dise : Qu’a-t-elle à faire ici ? Et au contraire tu aurais pris avantage dans la question si tu avais placé dans ta propre maison M. de Staël et si tu avais toujours eu à dire, dans tous les cas : Je dois être ici pour soigner M. de Staël. Ainsi, en ne considérant l’affaire que sous un rapport, tu mets contre toi ce que tu pourrais mettre pour toi. Je n’ai pas apprécié tout de suite ces considérations. T’auraient-elles échappé de même ? C’est aussi une chose bien scabreuse que cet appel à tous les créanciers pour qu’ils aient à faire leur déclaration, et si la somme de leurs réclamations et de leurs créances est très considérable, est-ce après en avoir eu la connaissance authentique que tu peux emmener avec toi leur débiteur ? Et cependant, si tu as fait bruit de cette dernière résolution, pourras-tu dire convenablement que tu y renonces, parce que les dettes de M. de Staël sont trop étendues ? Ce mélange des idées sensibles avec les calculs tourne toujours au détriment des derniers devant le tribunal de l’opinion. Enfin, c’est une affaire à mûrir et à consulter davantage, et je ne vois pas de motif pour hâter le départ de M. de Staël.

Mme de Staël tint bon. M. Necker finit pardonner son consentement, et elle partit en emmenant M. de Staël dans sa chaise de poste. Ils cheminaient à petites journées pour ménager les forces du convalescent. Le 8 mai, ils s’arrêtèrent à Poligny. Dans la nuit du 8 au 9 mai, M. de Staël fut frappé d’une nouvelle attaque d’apoplexie : on le trouva au matin inanimé dans son lit. Toute seule dans cet endroit perdu, Mme de Staël dut accomplir elle-même toutes les formalités nécessaires pour