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appelons ici le 11 de mai. Je voudrais qu’un beau printemps m’aide à te bien recevoir et à t’offrir avec mon amitié quelques compensations de ce Paris unique pour la jouissance de tout ce que la nature t’a donné en esprit et en talent. Peux-tu douter que je n’aie un plaisir extrême à te revoir. Ah que ne serait-il pas, ce plaisir, s’il n’était pas troublé par la connaissance de l’ennui que ce séjour te cause !

II

Mme de Staël arrivait donc à Coppet au mois de mai, partagée comme toujours entre la joie de retrouver son père et l’ennui que lui causait ce séjour un peu solitaire. Pour tromper cet ennui, elle cherchait à y attirer Fauriel, avec qui elle était entrée récemment en relation, et qui se rendait dans le Midi. Comme il s’excusait de ne pas s’être rendu à son invitation, elle lui écrivait :

Vos excuses sont inutiles. Elles sont plus que suffisantes pour un certain degré d’amitié, elles ne valent rien pour un certain degré de plus… Ce qui fait donc que, si nous parlons sérieusement, solidement, comme deux bons vieux hommes, je suis très reconnaissante de ce que vous êtes pour moi ; mais si je reviens à ma nature de femme, encore jeune et toujours un peu romanesque même en amitié, j’ai un nuage sur votre souvenir que vos argumens ne dissiperont pas[1].

Le nuage devait se dissiper cependant et Mme de Staël demeura dans les termes d’une amitié très cordiale avec Fauriel. Elle était sujette à ces susceptibilités, et, suivant la remarque très juste de Mme Necker de Saussure, « jamais les distinctions entre les diverses espèces d’attachement n’ont été moins marquées que chez elle. En elle la tendresse maternelle et filiale, l’amitié, la reconnaissance ressemblaient toutes à l’amour. » De là, dans quelques lettres d’elle qui ont été publiées dans ces derniers temps de droite et de gauche, des expressions excessives qui ont donné lieu à des interprétations peu bienveillantes. On ne saurait, en tout cas, mal interpréter les sentimens qu’elle portait au vieux Meister, l’ancien collaborateur de Grimm, le continuateur de la Correspondance littéraire et aussi l’ancien précepteur du fils de Mme Vermenoux, cette aimable femme à qui M. Necker avait fait la cour, et dont il avait fini par épouser la demoiselle de compagnie. Meister était demeuré l’ami du

  1. Lettre citée par Sainte-Beuve dans son étude sur Fauriel. Portraits contemporains, p. 15.