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encore, mais pourquoi des personnes qui sont assez esclaves de la fortune pour croire faire un sacrifice en te voyant ? Élève-toi donc à ce que tu es, et fais une fois connaissance avec le sentiment consolateur qu’on nomme le mépris.

Je n’entends jamais parler du général Consul qu’avec éloge et l’on vit encore à Genève sur l’enthousiasme que tu as laissé pour lui à ton dernier séjour et il est vrai que, par sa vie héroïque depuis lors, il a bien vérifié tes prédictions. Serait-il possible qu’on cherche à lui faire des ennemis. Voici ce que je lis dans une lettre d’un homme arrivant de Bâle, et qui voit tout en beau : « Je n’ai pas trouvé chez les généraux dont j’ai vu plusieurs, non plus que chez les officiers et même les soldats l’enthousiasme pour (Bonaparte)… que je m’attendais. » Je vois avec plaisir qu’à Paris il n’y a rien de semblable, mais on y est tellement gens de singerie et d’imitation qu’on ne peut compter les hommages parmi les rentes perpétuelles, à commencer par M. Necker qui, à la vérité, était un bien petit héros auprès de Buonaparte.


21 ventôse.

Oui, il faut se réjouir de cette première fin de tant de malheurs, et honneur en soit au héros de la France et du monde[1]

Ta lettre du 16 m’est venue exactement, celle du 12 de même. Tu as bien besoin de venir chercher ici quelques paroles propres à ton caractère ou plutôt à cette imagination qui te désole. Je connais ce mal, mais pas au point où tu m’en parais possédée. L’éloignement des mêmes objets te soulagera déjà plus que tu ne penses.

On blâme universellement Tal. (évidemment Talleyrand) de ne l’avoir pas invitée à son bal (trois mots illisibles). Je n’en ai entendu dire mot à personne et l’on ne parlera pas davantage de la conduite de Pastoret. Adieu, chère Minette. Quel grand homme toujours davantage que Buonaparte !


24 avril[2].

J’ai reconnu au style et à l’écriture qu’une lettre charmante que j’ai reçue de l’Administration maternelle[3] était faite par Mme Pastoret et je te prie de lui témoigner ma sensibilité à ses expressions si délicatement choisies. Et, à cette occasion je voudrais aussi que M. et Mme Pastoret sussent ici que je prends à reconnaissance et avec toute la force de mon affection pour toi leurs procédés à ton égard. Que ne suis-je au temps de ma puissance pour le marquer efficacement, et, confident que je suis de ton caractère et de tes plus secrètes pensées, comme il serait aisé d’expliquer et de garantir qu’aucun reproche sérieux ne peut jamais t’être fait !

Adieu, chère Minette ; ton départ est donc fixé au 21 floréal que nous

  1. La paix de Lunéville venait d’être signée avec l’Autriche et l’Italie.
  2. Comme je l’ai déjà fait observer, les lettres de M. Necker sont datées tantôt suivant l’ancien et tantôt suivant le nouveau calendrier.
  3. M. Necker parle ici de la Société de Charité Maternelle dont il était un des souscripteurs habituels et dont Mme de Pastoret était présidente.