Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 14.djvu/243

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et si un accord sincère s’est établi entre tous ses membres, on le lui doit plus qu’à personne, et c’est un titre dont bien peu de nos hommes politiques pourraient présenter l’équivalent : nous ne faisons exception que pour M. de Freycinet et pour M. Ribot, qui ont conclu l’alliance russe, point de départ de toute notre politique ultérieure. Aussi ne sommes-nous pas étonné de l’adhésion empressée que l’empereur Nicolas et son gouvernement ont donnée, dès qu’elle leur a été faite, à la proposition d’envoyer M. Delcassé à Saint-Pétersbourg où il y était d’avance persona gratissima. Notre alliance avec la Russie n’a Jamais eu aucun fléchissement ; on l’a retrouvée intacte, toutes les fois qu’on en a ou besoin, et cela des deux côtés ; mais il est arrivé de temps en temps que, dans la pleine confiance qu’inspirait justement sa solidité foncière, on n’en ait pas fait un usage quotidien, on ne lui ait pas maintenu le caractère d’une réalité sans cesse agissante. Le contact doit être continuel entre deux alliés, dans les petites choses le plus souvent, dans les grandes toujours : comment leur politique ne serait-elle pas commune, puisque) l’une peut subitement engager l’autre et qu’elles doivent se prêter un mutuel appui ? Avec M. Delcassé, qui a donné tant de preuves d’activité, il en sera ainsi. A Saint-Pétersbourg, son rôle passé inspirera confiance. On le sait d’ailleurs, partout aujourd’hui, conciliant, modéré, ami de la paix, et sa nomination a été accueillie comme une chose naturelle dont personne n’avait à prendre ombrage. Chacun attend M. Delcassé à l’œuvre.

Il trouvera à Saint-Pétersbourg les regards fixés sur l’Orient balkanique, comme ils le sont d’ailleurs dans toutes les autres capitales. Que se passe-t-il dans les Balkans ? Rien de saillant, rien de brillant, rien qui ressemble aux marches héroïques qui ont rempli la première phase des hostilités. C’est maintenant la guerre de siège, avec ses lenteurs inévitables et les déceptions qu’elle inflige à ceux qui escomptent des résultats rapides et retentissans. Les Turcs donnent une fois de plus la preuve de leur habileté, de leur ténacité admirables à se défendre derrière des fortifications. Nous ne voulons pas dire par là que le courage leur manque pour combattre en rase campagne ; le soldat turc reste un des premiers du monde, mais il est mal commandé par des officiers insuffisamment instruits des manœuvres de la guerre moderne. En revanche les Turcs ont toujours eu et ils ont conservé une sorte de génie pour défendre des fortifications et en élever, en improviser au besoin. Ceux qui ont cru que quelques obus suffiraient à provoquer la chute d’Andrinople se sont trompés. Andrinople résiste encore, et aussi Janina, et aussi Scutari. Disons-le, la guerre traîne,