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pouvons assimiler chaque atome chimique à un individu muni d’un certain nombre de bras et de mains ; lorsqu’un atome saisit un atome d’un autre corps par la main, ils ne forment plus qu’un seul individu insécable, ils sont combinés entre eux. Or le nombre des mains ainsi disponibles et capables de saisir celles d’autres atomes est caractéristique de chaque élément chimique ; ce nombre est ce qu’on appelle sa valence. Ainsi l’atome de carbone a quatre valences, l’atome d’hydrogène n’en a qu’une. Supposons qu’un atome de carbone fixe quatre atomes d’hydrogène, toutes les mains, toutes les valences de l’un et des autres seront occupées. On aura le plus simple des carbures d’hydrogène saturés, le méthane ; mais supposons que je supprime par un procédé quelconque l’un des atomes d’hydrogène, le groupement formé par le carbone et les trois autres atomes d’hydrogène et qu’on appelle un « radical » aura une main disponible, une valence libre, et pourra se substituer à un hydrogène dans une autre molécule de méthane. Le tout formera un carbure d’hydrogène contenant deux carbones et six hydrogènes ; si je supprime un de ceux-ci, le groupement, le radical restant pourra de nouveau se substituer à un hydrogène dans un autre carbure et former avec lui un nouveau composé plus complexe. Et c’est ainsi que l’on peut indéfiniment former non seulement des carbures d’hydrogène, mais d’autres corps de la série organique de plus en plus riches et complexes et en nombre aussi grand qu’on veut.

La seule difficulté est de réaliser ces substitutions et combinaisons ; on y arrive par divers procédés dont l’un des plus remarquables, des plus ingénieux, des plus fructueux dans la pratique, a été imaginé par M. Sabattier en collaboration avec M. Senderens et a valu au premier le prix Nobel. Il procède de la découverte faite par ces sa vans que certains métaux à l’état pulvérulent, et particulièrement le nickel, ont une action catalytique curieuse qui permet de fixer l’hydrogène sur les corps, ou de l’y substituer à d’autres élémens. Le nombre des substances organiques utiles, qu’on a réussi à préparer simplement ! par ce procédé, alors qu’auparavant on n’arrivait que difficilement à les extraire des substances naturelles, est considérable.

C’est par des moyens variés, mais dont l’un est directement emprunté à la méthode de Sabattier et Senderens que l’on vient de réaliser la synthèse artificielle du caoutchouc. Le caoutchouc est un carbure d’hydrogène dont la molécule renferme dix atomes de carbone et seize d’hydrogène, et dont la formule est donc, d’après le symbolisme usité, C10H16. Ce produit dont le développement des industries