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Aristote croyait pouvoir réduire tous les corps à quatre élémens et ses idées régnèrent, ou peu s’en faut, jusqu’au XVIIIe siècle, mais on sait aujourd’hui que le nombre des corps élémentaires est en réalité beaucoup plus grand. Mais c’est surtout depuis quelques années que la liste des élémens s’est allongée, sans qu’on aperçoive pour cela le moment où on pourra y mettre le trait final. Actuellement, on connaît près de 90 élémens différons. Les élémens le plus récemment découverts Font été, d’une part, dans l’atmosphère, où Ramsay notamment trouva en quantité infinitésimale les « gaz rares » dont je parlais dans une récente chronique (argon, hélium, néon, xénon, krypton, métargon), d’autre part dans le royaume nouveau que nous a ouvert le radium et où l’on connaît maintenant un nombre important d’élémens caractérisés (radium, polonium, actinium, émanation du radium, radiums A, B, C, etc.), et enfin dans les terres rares grâce à la spectroscopie.

On sait que les élémens radioactifs ont été découverts par des physiciens, au moyen de procédés complètement étrangers à la chimie classique, et cette irruption en chimie des méthodes physiques, qui a donné naissance à la captivante physico-chimie, est une des singularités les plus notables de l’évolution récente de la chimie. Pareillement, les métaux trouvés dans les terres rares l’ont été par des méthodes optiques et ainsi s’est développée et fortifiée la spectro-chimie, dont nous allons dire d’un mot le principe et qui est, elle aussi, une méthode physico-chimique :

Lorsqu’on porte un corps à l’incandescence et qu’on observe à travers une fente sa lumière dans une lunette convenable devant laquelle on a placé un prisme de verre, on voit que la lumière se trouve étalée suivant un spectre qui contient toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, dégradées suivant une bande continue, si le corps incandescent est solide ou liquide. Si au contraire il est gazeux, le spectre est discontinu et il ne contient plus que de fines raies brillantes qui sont toujours placées identiquement pour un même élément gazeux, et dont les positions diffèrent au contraire pour d’autres élémens, si on produit leurs spectres dans des conditions identiques. Tel est le principe de l’analyse spectrale inventée au milieu du siècle passé par Kirchoff et Bunsen, et qui a permis presque aussitôt de découvrir, en portant certains minéraux à l’incandescence dans une flamme, deux métaux nouveaux, le rubidium et le cæsium. Peu après, Reich et Richter découvraient par cette méthode l’indium ; Crookes le thallium, Lecoq de Boisbaudran le gallium, puis le samarium, puis tout récemment l’europium. Enfin, c’est grâce à elle qu’un de nos plus jeunes et plus éminens