Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 14.djvu/222

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ceux qui en furent les artisans. A cet égard, l’histoire de la chimie est caractéristique ; elle nous montre apportant sans cesse des idées nouvelles, et laissant à d’autres le soin et l’honneur de les appliquer et d’en tirer les lointaines conséquences. Le développement de cette science, en ces dernières années, enseigne que notre attitude dans le monde offre, — au moins à cet égard, — une remarquable continuité. Et c’est pourquoi, dans l’industrie chimique, nous sommes à un rang qui n’est même pas le second, bien que la France ait produit ces dernières décades la plus riche moisson de découvertes chimiques qu’on puisse imaginer.

Tracer, même en traits brefs, un tableau complet de la récente révolution de la chimie exigerait des volumes. Il nous suffira ici de choisir et de grouper quelques-uns des faits les plus caractéristiques de cette évolution. Aussi bien une simple gerbe de fleurs ne suffit-elle pas à donner au citadin l’image de la prairie et à lui en faire respirer l’âme tout entière ?

On a beaucoup discuté pour savoir si les sciences sont nées de nécessités pratiques ou de ce besoin désintéressé de savoir qui tourmente les hommes. Pour les sciences mathématiques, la question pouvait se poser ; et il est encore des esprits ingénieux que n’a point convaincus la démonstration que fit Henri Poincaré de leur origine utilitaire. Pour la chimie, il n’y a point de doute possible : non seulement elle est née des besoins matériels de l’humanité, mais elle puise encore en eux sa principale raison d’être.

C’est le besoin d’armes et d’ustensiles qui, de Tubalcaïn, le huitième homme après Adam, le fondeur et le forgeron de l’Écriture, malleator et faber in cuncta genera œris et ferri, fit le premier des chimistes. Les alchimistes médiévaux étaient, eux aussi, malgré l’auréole magique dont les entourait l’opinion populaire, les serviteurs de la nécessité : est-il rien de plus pratique que les deux objets de leurs recherches, le grand œuvre et la prolongation de la vie humaine ; et ne pourrait-on pas voir, dans ces deux pôles des efforts alchimiques, comme une première idée des deux grandes subdivisions qui aujourd’hui contiennent toute la chimie : le second donnant naissance à la chimie organique, et le premier à la chimie minérale ? Si d’un bond nous franchissons la Renaissance et le siècle suivant, ne voyons-nous pas que Lavoisier lui-même n’a fait ses admirables découvertes qu’à la suite de préoccupations industrielles, tantôt à l’occasion d’un concours pour l’éclairage des rues de Paris (1764), qui l’amène à découvrir les lois de la combustion, tantôt à l’occasion d’une étude sur la