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moi, une solitude ornée des dépouilles du monde. Sa confiance éconduisait l’usage ancien ; dans l’expérience des siècles, il ne consentait qu’à choisir, suivant son caprice, les plus jolis stratagèmes et, principalement, il voulait que le moi pût trouver lui-même sa règle toute neuve, pour sa fraîche nouveauté. Il lui ouvrait tout grands les champs du temps et de l’espace, les époques et les villes, les idées, le divertissement des métaphysiques. Il l’invitait aux plus audacieuses conquêtes ; et il lui donnait à ravager, pour ses parures, l’amusant univers. Je ne sais si nulle adolescence de l’esprit s’est élancée avec plus de fougue.

Et puis, au bout de son élan, le moi butte à une forte muraille. Il l’avait prise pour un horizon, mais au delà duquel s’étendent largement d’autres contrées et des voyages. C’est une muraille, et circulaire, la muraille d’une prison. Le moi sait alors qu’il est enclos.

Il examine ses trésors. Et les uns ne lui sont de rien ; les autres ne sont pas nombreux. Il se replie sur lui-même et, au fond de lui, comme dans une tombe vivante qui serait lui, trouve ses morts. La muraille où s’est heurté son élan borne ses voyages ; ses morts, trouvés en lui, bornent sa méditation. Il examine ses trésors ; et les seuls qui ne lui soient pas de rien, les seuls qui ne soient pas une brocante de bazar, ses morts les ont aimés, ses morts les lui ont préparés. Il se flattait d’inaugurer la vie ; il la recommence et, plutôt même, — écartons la moindre illusion d’aucun début, — il ne fait que la continuer. Il est captif : et qu’il chante, pour se distraire, sa captivité !

C’est, dans l’œuvre de M. Barrès, un deuxième temps : celui des stances du chagrin

Le prisonnier, plus tard, se libère. Mais il se libère selon cette parole de saint Paul : « Étant lié, je suis libre ! » C’est dans la connaissance de ses limites qu’il découvre sa liberté, dans la discipline consentie qu’il assure son indépendance. Il renonce à la vaine apparence d’un infini de mensonge et qui le tentait ; son renoncement le dégage. Faut-il, à ce tournant d’une dialectique passionnée, dire que le moi se renonce ? Il n’abandonne que du néant et saisit de la vérité. Il avait l’air de se limiter à ses morts ; et c’est par eux qu’il se propage au delà de ses propres limites. Le cantique de captivité devient un hymne de libération.

Donc, l’individualisme agrée ses disciplines : les disciplines de ses morts, ses perpétuels parens.

C’est la suprématie de l’autorité sur l’inspiration ; c’est, dans La colline inspirée, le triomphe de la chapelle sur la prairie. Quand