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réunion fait une harmonie. Mais ils ne se confondent pas. Chacun d’eux est particulier. Aucun d’eux ne nous déçoit, pas même cette inquiétante sœur Thérèse qui a, dans l’esprit, « les virevoltes d’un martin-pêcheur, tout bleu, tout or, tout argent, sur un paisible étang de roseaux ; » sœur Thérèse qui a les allégresses, les bonheurs, les mélancolies et les douleurs du printemps, de l’été, de l’automne et de l’hiver et qui est, comme la nature, sensible au passage des saisons et, dans les saisons mêmes, sensible au passage des heures inégales ; sœur Thérèse qui, un beau jour, un triste jour, « . se perd dans l’ombre, » comme s’en va dans le crépuscule mourant le sourire d’une journée.

Il n’est pas facile de dénombrer, sans les déranger, sans défaire la combinaison de leur charme et de leur signification, tant de beautés. À louer les unes après les autres, je disloque ce livre qui a l’unité d’un chant, — ou bien, si l’on veut, l’unité de ces villages où les maisons, bâties avec la pierre et la terre de l’endroit, sont de la même teinte que le paysage : de la même teinte aussi, les gens, parce qu’ils travaillent le sol de cet endroit ; et leur pensée, à contempler ce paysage, a pris la même teinte.

Mais il faut pourtant signaler les plus émouvantes péripéties de ce roman qui met en branle les plus vifs sentimens de l’âme, l’amour divin, la recherche de l’infini, l’audace de la croyance, la tendresse, la rébellion, le désespoir. Léopold Baillard, illuminé d’erreur, gravit un calvaire de triomphe. Il s’est d’abord élevé très haut dans l’orgueil : et, aux étapes du martyre qu’il a mérité, qu’il accepte, l’orgueil qu’il s’est procuré en route le soutient. À la Chartreuse, où on l’a placé pour qu’il se repentît, les Pères, durant l’office nocturne, et les profès en habits blancs, et les novices aux chapes noires, tournent vers les antiphonaires leurs lanternes et, priant ou psalmodiant, ils intercèdent en faveur de lui ; mais, en lui, frémit davantage « l’homme de désir qu’il a toujours été. » Au moment de quitter la Chartreuse, un Père l’encourage, avec de bonnes paroles ; mais il répond : — « Comment voulez-vous que j’aie pu trouver la paix ici ?… » Au surplus, a-t-il souhaité la paix ? Il est une âme de guerre. Et, la guerre, il l’aura.

Quelle angoisse, néanmoins, quand tout l’abandonne ! Mais, son angoisse, il la compare à celle qu’endura Jésus dans le jardin des Oliviers. Les fidèles qui le trahissent, ne comptait-il pas sur leur trahison, pareille à celle que l’évangile a notée ? Les coqs chantent, de village en village : il comptait bien que les coqs chanteraient, cette nouvelle fois.